"Dietrich Bonhoeffer, le courage d’une conviction" : un documentaire de Présence Protestante ce dimanche sur France 2

Luxe inquiet. C’est notre paradoxe à nous, les libérés. Tandis que nous fêtons les 80 ans de la fin de la guerre de 1940 et la libération des camps – dont celui de Flossenbürg où le pasteur Dietrich Bonhoeffer a été exécuté quelques jours avant l’arrivée des troupes alliées – la guerre gronde toujours.
"Vous partagerez le pays entre les tribus de votre peuple.
Vous le répartirez par tirage au sort entre vous et entre les étrangers installés au milieu de vous et qui auront eu des enfants dans le pays. Ceux-ci devront être traités comme les Israélites, comme des membres du peuple, et recevoir leur part de territoire dans les tribus d’Israël.
Chacun d’eux recevra sa part dans la tribu où il se sera installé. Je l’ordonne, moi, le Seigneur Dieu."
Livre d’Ézéchiel, chapitre 47
Normalement, je ne suis pas inquiet. Ce n’est pas mon style, c’est un luxe que je ne m’autorise pas. Et, vu ma situation, je n’ai aucune raison de l’être : j’ai presque 56 ans. J’ai vécu la moitié (plus de la moitié ?) de ma vie sans encombre. J’habite en France, un pays magnifique et plutôt bien géré – quoi qu’en dise la Place de la République. Je vis à Paris, qui est, après Bordeaux, sans doute l’une des plus belles villes du monde. Mes enfants sauront vivre sans moi. Si elle venait à s’arrêter, mon existence me manquerait sûrement. Mais m’en souviendrais-je ? Alors, pourquoi serai-je inquiet ?
Un cri lourd et entêtant.
Quand ils ont massacré des juifs, j’ai été triste, indigné, et j’ai eu honte. Mais est-ce suffisant ?
Quand ils viennent bombarder les Ukrainiens, je me dis : "Les autorités françaises et internationales sont là pour gérer ce conflit." Mais est-ce suffisant ?
Quand ils pilonnent les Palestiniens, je me demande : "Que faut-il pour que cela cesse ? Que puis-je faire ?" Mais est-ce suffisant ?
Quand ils viennent chercher les migrants, j’essaie de les protéger honnêtement. Mais est-ce suffisant ?
Parfois, je pense que oui, que c’est suffisant : je fais ce que je peux. Tout ce que je pense possible, en tout cas. Mais j’ai beau zapper, sur toutes les chaînes, toutes les stations, toutes les unes... Les médias pilonnent. Malgré tous les dolipranes, je ne pourrais pas dire que je ne savais pas, que je n’entendais pas, que je ne voyais pas.
Alors soyons fous : prenons un voilier et brisons les blocus, roulons jusqu’à Moscou avec un drapeau blanc, désamorçons les bombes, marchons pour la paix.
Mais est-ce que cela serait suffisant ? Rien n’est moins sûr. Je ne suis spécialiste ni en géopolitique, ni en conflits internationaux, ni en guerre, ni en paix. Et si le peu que je faisais était contre-productif ? Et si c’était récupéré ? Et puis, ai-je quelque chose à dire ? À faire ? Je ne suis pas spécialiste. Ni de tout cela, ni de Dietrich Bonhoeffer non plus, d’ailleurs.
Heureusement, dans notre cas, Véronick Beaulieu, la réalisatrice du documentaire de dimanche, a très bien fait son travail, vous verrez.
Il y a quatre-vingts ans, le pasteur Bonhoeffer a eu du mal à s’engager. Fallait-il tuer Hitler ? Il a été arrêté pour ce complot. Arrêté, puis pendu quatorze jours avant l’arrivée des Alliés aux portes du camp de concentration de Flossenbürg, où il était enfermé.
Pendant ce temps, chez nous, en pleine tempête sur YouTube, un rabbin a été agressé à deux reprises, un Coran a été brûlé, le voilier Madleen a été arraisonné et conduit à Ashdod, d’où son équipage est reparti, rageur mais penaud. Et les guerres continuent.
Heureusement, le soir venu, tout s’est terminé autour de merguez-baguette, Place de la République, sans que personne ne pense à mettre un bandeau sur l’objectif d’Assurancetourix le caméraman qui filme de travers. Après la manif, on a dansé la valse d’un monde qui met du temps à construire la paix. Un, deux, trois pas. En ce moment, c’est plutôt en arrière.
Je zappe. Actu suivante.
Qu’aurait pensé Bonhoeffer des pornographes à l’éthique en toc, qui donnent du libidineux en pâture aux gamins ? De l’un de ces gamins, justement, qui a tué une femme, au hasard, devant son établissement, presque sous les yeux de la police, sans savoir vraiment pourquoi. Sans remords. Sans conscience.
Si aujourd’hui est lourd, je crois que ce sont ces dernières nouvelles qui m’inquiètent le plus, pour demain : la perte de repères (mince, j’ai dit un gros mot). La dislocation des valeurs d’une jeunesse en pleine ère de post-vérité, un monde qui ne croit plus en rien, qui nivelle tout, qui voit que tout est possible pour peu qu’on ait un peu de réseau, quelques gigabytes-seconde, quelques images. (M…, ça y est, c’est sûr, je suis un vieux c…)
Comme Bonhoeffer certainement, j’aurais préféré que tout soit clair et simple : tuer Hitler, prendre un voilier, briser les blocus, rouler jusqu’à Moscou, désamorcer les bombes, marcher pour la paix. J’aurais survécu jusqu’à l’arrivée des Alliés, j’aurais résisté. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé.
Qu’il semble loin, le livre d’Ézéchiel. Nous en avons tourné des pages depuis !... Quoique…
La lumière s’est rallumée, tout le monde quitte la salle, un peu déçu par cette fin amère. Le générique de mon inquiétude s’achève, et je lis, un peu plus haut :
"L’homme me dit : Ce torrent, qui jaillit de dessous l’entrée du temple, se dirige vers l’est du pays, il descend la vallée du Jourdain et débouche dans la mer Morte. Lorsqu’il parvient à la mer, il en renouvelle l’eau, qui devient saine.
Des êtres de toute espèce se mettront à grouiller, et les poissons se multiplieront partout où le torrent arrivera. Il assainira la mer et là où il se déversera, il apportera avec lui la vie."
Livre d’Ézéchiel, chapitre 47
Le pire est certain, mais le meilleur reste à venir.
Christophe Zimmerlin pour Présence Protestante
Dietrich Bonhoeffer – Le courage d’une conviction : un documentaire réalisé par Véronick Beaulieu et produit par france.tv studio
Une émission diffusée le dimanche 15 juin sur Présence Protestante (France 2). Vous pouvez également suivre Présence Protestante sur Facebook pour suivre leurs actualités.