Fin novembre dernier, des responsables évangéliques se sont réunis pour trois jours de consultation stratégique des églises et des dirigeants à Abuja, la capitale du Nigeria, afin de proposer des pistes pour une société meilleure sur les plans politique et économique ainsi qu’une meilleure coexistence des religions. Alors que les élections générales de février 2023 approchent, évangéliques et catholiques craignent des violences.
En dépit de leurs immenses richesses souterraines, voire forestières, les pays africains peinent à émerger. Les causes sont structurelles, circonstancielles et même parfois, liées à des croyances. Le jeune Soudan du Sud est notamment confronté au fait que seuls 3 à 5 % de la population parle anglais. Autre exemple, le ministre sud-africain de la Santé avait proposé en 2006 à ses compatriotes de consommer notamment de la betterave et du citron pour combattre le fléau du sida qui ravage leur pays.
En outre, le Nigeria fait face à des violences semblant sans fin à l’encontre des chrétiens de la part des groupes djihadistes et de certains bergers peuls musulmans.
Les églises évangéliques et catholiques nigérianes ont organisé une journée de prières le 4 novembre dernier, estimant qu’il s’agit d’un impératif en vue des élections « compte tenu du fait que [leur] nation traverse actuellement une période très difficile, malgré ses abondantes ressources naturelles, humaines et matérielles ».
La Christian Association of Nigeria déplore que, malgré le fait qu’il ait « tout ce qu’il faudrait pour être l’une des plus grandes nations sur Terre, le pays n’a toujours pas atteint la place qu’il devrait avoir aujourd’hui, ce en raison de certains problèmes internes ».
Interrogé par Wissam al Saliby, représentant de l’Alliance évangélique mondiale auprès des Nations unies, à l’issue de trois jours de discussions entre les églises, le pasteur James Akinyele a déclaré s’attendre à ce que les évangéliques maintiennent voire augmentent le dialogue avec le gouvernement pour que le nombre d’enlèvements ou d’attaques terroristes décroisse :
« Nous pensons qu’il faudrait exercer une certaine pression sur le gouvernement pour que les auteurs de ces crimes soient traduits en justice, peu importe qui a été tué, quelles communautés sont attaquées. »
Akinyele, par ailleurs secrétaire général de la Nigeria Evangelical Fellowship, insiste sur l’importance de garantir la sécurité de tous de prier, quelles que soient leurs croyances, et souhaiter un dialogue entre les différentes communautés en vue de bâtir un pays prospère :
« Nous aimerions voir un niveau accru de dialogue entre les groupes ethniques et religieux divisés au pays. Le récit n’est pas très agréable et tout le monde semble blessé, certains plus que d’autres […] mais s’il n’y a pas de conversation entre les musulmans, les chrétiens et peut-être d’autres confessions religieuses, nous ne pourrons pas résoudre ce problème. »
L’engagement des évangéliques en question
Même son de cloche du côté du révérend Goodwill Shana, l’actuel président de l’Association of Evangelicals in Africa et membre de l’ONG anticorruption Transparency International dans son pays, le Zimbabwe. Shana, présent aux journées de rencontres à Abuja, et Akinyele se sont ensuite entretenus avec les responsables catholiques du Nigeria pour trouver une plateforme de propositions afin de promouvoir la paix.
Selon lui, le principal problème de l’Afrique est la corruption, et il cite le secteur nord de la ville de Bulawayo au Zimbabwe où le taux de mortalité des femmes enceintes est très élevé du fait du manque d’ambulances. Les véhicules sont récupérés par les membres du gouvernement. Il estime que l’autre problème de l’Afrique, c’est le faible engagement des évangéliques, moindre que celui des catholiques.
Donnant l’exemple de son pays dont 60 % de la population est évangélique, il décrit une situation où les chrétiens ne se mobilisent que peu car considèrent que la politique est sale ou tendent à considérer que leur devoir est d’aider directement leurs prochains, sans chercher à remédier aux causes des problèmes.
Shana cite d’autres pays où des évangéliques sont au pouvoir comme le Malawi dirigé par un ancien pasteur pentecôtiste, Lazarus Chakwera, ou le Kenya présidé par William Ruto, un évangélique. Cependant, ce dernier est très controversé. Par ailleurs, la présence de chrétiens évangéliques aux commandes de divers pays africains se solde aussi par des bilans en demi-teinte.
L’ancien Premier ministre éthiopien Ahmed Abiy, évangélique et récompensé par le prix Nobel de la paix en 2018 pour avoir amené la paix entre son pays et l’Érythrée, a ensuite été très critiqué pour sa volonté féroce de mater la rébellion tigréenne, sans prévoir de porte de secours pour des négociations de paix. De son côté, le président du Nigeria Goodluck Jonathan, un évangélique, a su condamner l’attentat contre Charlie Hebdo tout en observant un quasi-mutisme sur de vastes attaques de Boko Haram dans son propre pays, alors qu’il était en campagne pour sa réélection en 2015.
Jean Sarpédon