Des groupes hindous accentuent la discrimination contre les dalits chrétiens

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Les convertis doivent choisir entre affirmation publique de leur foi et avantages liés à leur caste.

Vikrant Maheshwar, un “intouchable” ou “dalit” chrétien d’une trentaine d’années, a travaillé pendant 11 ans pour le gouvernement de l’Andhra Pradesh, dans le sud de l’Inde. Son salaire du département de l’agriculture lui permettait non seulement de subvenir confortablement aux besoins de sa femme et de ses enfants, mais aussi de financer discrètement son travail d’évangélisation.

Maheshwar s’est converti au christianisme alors qu’il était encore à l’école primaire, après que sa famille a découvert l’Évangile grâce à des voisins. Le message de l’amour inconditionnel de Jésus a profondément touché lui et les siens, longtemps marqués par la discrimination en raison de leur appartenance à la caste la plus basse de l’hindouisme. Nous utilisons à son sujet un pseudonyme, car les dalits chrétiens risquent d’être la cible des groupes nationalistes hindous s’ils témoignent publiquement.

L’école du dimanche et la lecture quotidienne de la Bible ont marqué son enfance. Vers l’âge de 20 ans, il ressent un appel à servir Dieu. Il commence alors à prêcher dans les églises de la région les dimanches, tout en continuant son emploi dans la fonction publique en semaine.

Mais en novembre dernier, sa vie a basculé lorsqu’un groupe hindou fondamentaliste a dénoncé à son employeur ses activités de prédicateur, l’accusant pour cela de détenir illégalement le statut de “Scheduled Caste” (SC). Ce statut, qui ouvre des droits à l’éducation et à l’emploi pour contrer les discriminations historiques, n’est accordé aux dalits que s’ils ne sont pas chrétiens ou musulmans. Maheshwar avait obtenu son poste grâce à cette protection.

Souvent, lorsque des dalits se convertissent au christianisme, ils gardent leur foi secrète et conservent un nom hindou pour ne pas perdre leur statut de SC. Ces croyants sont qualifiés de "chrétiens clandestins". Jusqu’à récemment, les autorités fermaient les yeux. Mais avec la montée du nationalisme hindou en Inde, les groupes hindous extrémistes traquent ces dalits chrétiens et font pression sur le gouvernement pour qu’il agisse.

En novembre, la Cour suprême de l’Inde a statué que les chrétiens pratiquants qui conservent leur statut de SC commettent une "fraude à la Constitution". En conséquence, de nombreux dalits chrétiens renoncent désormais volontairement à ce statut.

"Ce qui n’était pas un problème autrefois – ou seulement de manière dormante – est maintenant mis en avant pour instiller la peur", explique Noah Simon, chercheur à l’université d’Hyderabad et spécialisé dans la question des chrétiens en Inde.

Lorsque les autorités ont appris l’identité chrétienne de Maheshwar, il a été licencié. Sa famille en a souffert financièrement, et sous la pression, lui et sa femme ont divorcé. Humilié, endetté, il s’est retiré du ministère, coupé de sa famille et de toute vie sociale.

"Laissez tomber. Je n’ai rien à dire", lâche Maheshwar. "Je ne suis plus pasteur, je ne dirige plus de ministère."

Bien que le système des castes ait été officiellement aboli il y a plusieurs décennies, les dalits restent victimes de préjugés. Dans de nombreuses régions d’Inde, les castes supérieures les menacent ou les agressent pour des motifs aussi simples que porter des chaussures, une moustache ou monter à cheval. Dans certains cas extrêmes, des dalits sont soumis à des humiliations dégradantes, comme être aspergés d’urine ou contraints de lécher les pieds de membres des castes supérieures.

Les femmes dalits figurent parmi les groupes les plus opprimés au monde, souvent victimes de violences sexuelles ou même de meurtres. Les enfants dalits sont les plus nombreux à décrocher de l’école après le primaire. Environ 71 % des dalits sont des travailleurs agricoles sans terre.

Le statut de SC, défini par un Ordre constitutionnel de 1950, leur permet d’accéder à l’école, à l’emploi et à certaines aides sociales dans des institutions qui leur étaient jusque-là fermées.

Les chrétiens et les musulmans n’y ont pas droit, le gouvernement arguant que ni la Bible ni le Coran ne justifient la hiérarchie des castes. Pourtant, dans la réalité indienne, le système des castes transcende la religion.

"Il n’existe aucune preuve empirique montrant une amélioration drastique de la condition socio-économique des dalits chrétiens", affirme Emanual Nahar, professeur de sciences politiques à l’université du Pendjab et ancien président de la Commission des minorités de l’État du Pendjab. "Ils sont plus défavorisés que les dalits hindous. Ils doivent vivre avec une double identité – l’une pour la foi, l’autre pour les documents officiels."

Ainsi, un dalit chrétien d’une quarantaine d’années (qui a souhaité rester anonyme pour des raisons de sécurité), vivant dans l’État du Telangana, lutte aux côtés de sa famille pour préserver leurs terres ancestrales face à des membres influents de castes supérieures. Ils ont intenté une action en justice sous la loi de 1989 sur la prévention des atrocités envers les castes répertoriées, qui protège les dalits contre la violence et prévoit des peines pouvant aller jusqu’à la réclusion à perpétuité.

La plupart de ses proches ont officiellement gardé une identité hindoue après leur conversion au christianisme. Mais son frère a déclaré sa conversion, ce qui l’a rétrogradé au statut de "Backward Class-C" (BC-C), bien moins avantageux. Alors que 15 % des postes sont réservés aux SC, seul 1 % l’est pour les BC-C. Bien que la famille ait caché ses bibles et décroché les croix de leur maison, ce dalit chrétien pense que ses opposants connaissent leur foi.

"Ils savent que nous allons à l’église", dit-il. "Cela suffit à nous discréditer devant un tribunal."

Si le gouvernement découvre leur foi chrétienne, ils perdront leur statut de SC et ne pourront plus bénéficier de la protection de la loi de 1989. "Ma famille et moi prions sans cesse pour notre délivrance", confie-t-il. "Chaque vendredi, pendant la prière de jeûne, toute l’église prie pour nous. Mon frère cite souvent le Psaume 18, verset 2, qui est pour nous une grande source d’encouragement."

Par le passé, certains ont plaidé pour que le statut de SC soit accordé à tous les dalits, quelle que soit leur religion. Une commission judiciaire de 2007 avait recommandé de "dissocier totalement" ce statut de la religion.

Non seulement le gouvernement du Premier ministre Narendra Modi a rejeté cette recommandation, la qualifiant de "biaisée" en l’absence de preuves concrètes, mais il a aussi déclaré à la Cour suprême qu’il n’était pas envisageable d’étendre ce statut aux dalits chrétiens et musulmans. Selon l’idéologie nationaliste hindoue, cela favoriserait les conversions au christianisme et affaiblirait l’hindouisme.

Sous la pression de multiples requêtes de dalits chrétiens, le gouvernement Modi a tout de même lancé une nouvelle commission en 2022 pour examiner la question. Celle-ci devait rendre son rapport en octobre dernier, mais ne l’a toujours pas fait. Beaucoup s’attendent à ce qu’il confirme les convictions du gouvernement.

Face aux traitements inhumains qu’ils subissent, de nombreux dalits ont tourné le dos à l’hindouisme. Aux 19e et 20e siècles, des missionnaires européens et américains leur ont apporté le christianisme ainsi que l’accès à l’éducation et aux soins. Certains dalits chrétiens ont ainsi accédé à une meilleure position sociale, notamment dans la fonction publique et le secteur privé. Les chercheurs estiment que les dalits représentent environ 70 % des chrétiens en Inde.

Mais même au sein de l’Église, la discrimination persiste. Il existe des églises séparées – parfois même des cimetières distincts – selon la caste. Les mariages chrétiens suivent aussi des lignes de caste ou sous-caste.

Ces derniers mois, la traque des dalits chrétiens détenant le statut de SC s’est intensifiée. Selon Vijaya Raju Gaddapati, président de la Fédération chrétienne de toute l’Inde, des activistes hindous se postent à l’entrée des églises avec des caméras pour filmer les fidèles. Certains cherchent même des tombes avec des croix ou des noms chrétiens pour remonter jusqu’aux vivants et les dénoncer.

En conséquence, des chrétiens refusent désormais les certificats de baptême ou les documents de mariage religieux, par crainte de laisser des traces écrites, selon Rufus Kolikapudi, militant et journaliste à Siti News Mangalagiri.

Mais d’autres choisissent d’affirmer légalement leur statut de chrétien.

Un dalit chrétien de 30 ans, habitant au Telangana et ayant requis l’anonymat, a vu son père guéri miraculeusement d’une maladie chronique, ce qui a conduit toute sa famille à se convertir il y a une dizaine d’années. Aujourd’hui, alors que les groupes hindous dénoncent de plus en plus les “chrétiens clandestins”, il a décidé de renoncer volontairement à son statut de SC afin de ne pas être accusé de fraude. Il souhaite ainsi réconcilier son identité publique avec sa foi.

Malgré les objections de leur père, lui et son frère ont décidé d’afficher publiquement leur foi chrétienne, ce qui les a fait passer au statut BC-C. Une décision qui réduit considérablement leurs chances d’obtenir un emploi dans la fonction publique.

"Je n’ai pas le choix", dit-il. "Si je garde mon statut de SC, on me traitera de fraudeur. Si je l’abandonne, je perds le peu de soutien qu’il me restait."

Vikram Mukka

Un article de Christianity Today. Traduit avec autorisation. Retrouvez tous les articles en français de Christianity Today.

Crédit image : Shutterstock / hyotographics

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