Des documentaristes chrétiens veulent aider l’Ukraine

Des documentaristes chrétiens veulent aider l’Ukraine

Alors que la Russie intensifie ses attaques, une équipe de cinéastes tente d’attirer l’attention sur des évangéliques "traqués par un empire".

Colby Barrett était chez lui à Telluride, dans le Colorado, quand un ami l’a appelé. Il lui proposait de rejoindre un convoi humanitaire à destination de l’Ukraine.

"Certainement pas", a-t-il répondu. "Il y a une guerre là-bas."

Il avait aussi beaucoup à faire chez lui : il était en train de vendre son entreprise de construction, les pêches de son verger bio devaient être récoltées, et ses quatre enfants avaient des emplois du temps chargés.

Chrétien évangélique, Barrett ne connaissait l’Ukraine qu’à travers les actualités. Mais en creusant un peu, il est tombé sur des chiffres concernant les décès de chrétiens en lien avec le conflit et s’est senti interpellé par Dieu. Il a réorganisé son emploi du temps et, en septembre dernier, il a rejoint un convoi composé d’ambulances, de vans et de voitures remplies d’aide humanitaire.

Une fois l’aide distribuée, il a rejoint une équipe de tournage en tant que producteur et investisseur. Ensemble, ils ont parcouru près de 2 000 kilomètres à travers le pays pour raconter l’histoire de chrétiens ukrainiens qui tiennent bon malgré la guerre et les persécutions. Son objectif : permettre à d’autres de découvrir ce qu’il a observé.

"Il est peu probable que la plupart des évangéliques viennent en Ukraine en personne. Le meilleur moyen reste donc de leur montrer ces histoires à travers un film", nous explique-t-il.

Le film "A Faith Under Siege: Russia’s Hidden War on Ukraine’s Christians" ("Une foi assiégée : la guerre cachée de la Russie contre les chrétiens ukrainiens") est aussi devenu un outil de sensibilisation auprès des décideurs à Washington. Steven Moore, coproducteur exécutif aux côtés de la journaliste ukrainienne Anna Shvetsova, a visité plus de 120 bureaux du Congrès depuis 2022.

"On essaie de donner des informations fiables aux conservateurs pour qu’ils puissent prendre de bonnes décisions", explique Moore, également fondateur de l’organisation Ukraine Freedom Project. Son équipe encourage les élus à inclure la liberté religieuse dans les territoires occupés par la Russie et le retour des enfants enlevés dans les négociations en cours.

Les discussions menées en mai et juin ont permis quelques échanges de prisonniers, mais peu d’avancées concrètes vers la paix. Vladimir Poutine a déclaré être ouvert à de nouvelles négociations, tout en affirmant dans le même temps que "toute l’Ukraine" faisait partie de la Russie.

Ces cinq derniers mois, les frappes aériennes russes, notamment sur la capitale, se sont intensifiées.

Depuis son appartement au dernier étage à Kyiv, Moore entend chaque nuit les sirènes, le bourdonnement des drones iraniens Shahed, et parfois, quelques secondes plus tard, une explosion. Les nuits sont bruyantes et il dort mal.

"Les rues restent vides jusqu’à midi, parce que tout le monde a été réveillé jusqu’à 4 heures du matin à écouter les 'salutations' de Poutine", dit Moore. L’Américain s’est installé en Ukraine cinq jours après le début de l’invasion en 2022. "Chaque nuit, c’est un nouveau record de drones et de missiles."

Barrett et Moore, qui se sont rencontrés lorsque Barrett a décidé de venir en Ukraine, ont pu constater les effets de la guerre sur les civils. Ils ont vu des maisons et des commerces détruits, et recueilli les témoignages d’Ukrainiens en deuil, dont trois hommes ayant perdu femmes et enfants.

"L’un des pères, Serhiy Haidarzhy, venait de perdre sa femme et sa fille, et on lui a demandé de prendre la parole lors des funérailles d’un autre père évangélique qui, lui, avait perdu sa femme et ses trois enfants", raconte Barrett. "Personne ne devrait devoir voir un cercueil de la taille d’un bébé."

Ils ont aussi observé l’impact de l’invasion sur les églises.

Au moins 47 responsables religieux ukrainiens ont été tués depuis le début de la guerre. Certains cas de torture et d’exécution de pasteurs et de prêtres chrétiens par des soldats russes ont été documentés. Plus de 650 lieux de culte ont été endommagés ou détruits : des églises évangéliques, grecques-catholiques, catholiques romaines et orthodoxes ukrainiennes.

Selon Barrett, les évangéliques sont particulièrement ciblés par Moscou en raison de leurs liens supposés avec l’Occident. Ces églises sont difficiles à contrôler, car leur loyauté ne va pas à l’État.

"Nous n’avons qu’un seul chef", affirme dans le film Pavlo Unguryan, un baptiste ukrainien. "C’est Jésus-Christ."

Les cinéastes ont aussi interviewé Mykhailo Brytsyn, pasteur d’une église à Melitopol, et filmé l’irruption de soldats russes pendant un culte en septembre 2022.

Ils ont aussi recueilli le témoignage du pasteur baptiste Okleh Perkachenko, qui a échappé de peu à une attaque de drones pendant une réunion de prière dans son jardin. Deux jours plus tard, un drone a détruit sa voiture garée au même endroit. Un autre drone a frappé son van alors qu’il emmenait ses enfants, puis a visé sa maison à son retour. La famille s’en est sortie avec des blessures légères.

Les attaques contre des églises non affiliées à l’Église orthodoxe russe remontent à la première invasion de 2014. Cette année-là, des forces du Kremlin avaient pris d’assaut une église pentecôtiste à Sloviansk et tué quatre membres, dont les deux fils du pasteur Oleksandr Pavenko, eux-mêmes pasteurs. En 2023, son troisième fils est mort dans un tir de roquette russe alors qu’il servait auprès des soldats dans l’est du pays.

Barrett raconte que ses rencontres avec les chrétiens ukrainiens ont profondément renforcé sa foi. Son équipe a interviewé plus de 40 personnes dans sept villes. Les témoignages lui ont rappelé l’Église persécutée du Nouveau Testament.

"On a affaire à un petit groupe de croyants qui se retrouvent traqués par un empire qui ne les supporte pas", dit-il.

La situation reste très précaire pour les chrétiens. En mai, le pasteur presbytérien Volodymyr Barishnev expliquait à Christianity Today que la plupart des habitants de sa ville quitteraient les lieux si la Russie reprenait Kherson. Il ne sait pas ce qu’il adviendrait de son église.

La guerre est entrée dans sa quatrième année, et de nombreux Ukrainiens commencent à perdre espoir. En juin, plus de 5 000 drones ont été lancés contre le pays, et les rapports signalant la présence de 50 000 soldats russes près de la ville de Soumy alimentent les craintes d’une nouvelle offensive.

Moore, malgré tout, continue d’espérer. Il prévoit de retourner à Washington ce mois-ci pour rencontrer à nouveau plusieurs élus, dont le sénateur républicain de Caroline du Sud, Lindsey Graham. Celui-ci a récemment affirmé que Donald Trump était prêt à soutenir un projet de loi visant à sanctionner la Russie ainsi que les pays qui achètent son pétrole et son gaz. Parallèlement, l’administration Trump a décidé la semaine dernière de suspendre certaines livraisons d’armements et de systèmes de défense à l’Ukraine.

Barrett, lui, raconte que les chrétiens ukrainiens sont encouragés de savoir que leurs histoires sont transmises à d’autres. Ils lui disent qu’ils espèrent voir venir "l’armée de la prière et l’armée du soutien" que pourraient mobiliser des chrétiens du monde entier après avoir vu le film et découvert leur réalité.

Jill Nelson

Un article de Christianity Today. Traduit avec autorisation. Retrouvez tous les articles en français de Christianity Today.

Crédit image : Shutterstock / deniska_ua

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