Les discussions autour de l’agriculture urbaine en Afrique se concentrent souvent sur la pauvreté, la faim ou l’accès à la nourriture.
D
e fait, près de 40 % de la population urbaine africaine pratique une forme d’activité agricole. Si la grande majorité cultive des légumes, certains produisent aussi des oeufs, du lait ou des fruits.
Une voie d’insertion pour les plus marginalisés
Dans des pays comme le Cameroun, le Malawi ou le Ghana, plus d’un quart des ménages fait pousser ses légumes, se protégeant ainsi des pénuries saisonnières ou des hausses de prix alimentaires. Afin de s’assurer une viabilité de long terme, il leur est toutefois nécessaire de développer des réseaux communautaires et des liens relationnels solides. En d’autres termes, du capital social, c’est-à-dire l’ensemble des relations et des réseaux qui se créent au sein d’une société et sont la condition à son bon fonctionnement.
En partageant leur production, les agriculteurs construisent un réseau, sur lequel ils s’appuient en cas de besoin – pour la recherche de travail, de nourriture ou d’un coup de main. Des bénéfices sociaux qui aident les plus pauvres à rebondir face aux chocs économiques, à la suite d’inondations, de restrictions budgétaires ou de maladies.
Cet aspect concerne tout particulièrement les femmes, qui constituent la majorité des cultivateurs urbains d’Afrique. Réduire l’agriculture en ville à sa dimension de maximisation économique est donc insuffisante, voire nuit au processus d’émancipation de ces agricultrices.
La formation au capital social est indispensable pour ces femmes souvent marginalisées économiquement. En tenir compte dans le développement d’initiatives communautaires intégrant de l’agriculture urbaine est donc essentiel.
À Cape Town, des mesures favorables aux agricultrices
La ville côtière de Cape Town, en Afrique du Sud, offre un exemple inédit de reconnaissance des bénéfices et des défis spécifiques aux agricultrices urbaines. La ville a mis en œuvre une politique de culture urbaine ciblant ces femmes qui travaillent en majorité dans les Cape Flats, ces larges plaines situées à l’est de la ville. Ces mesures aident à leur fournir des infrastructures, des ressources et du matériel.
La zone des Cape Flats connaît en effet des taux de chômage plus importants et un accès aux services basiques significativement plus bas que les banlieues voisines du nord et du sud. Dans cette région, le quotidien des femmes est marqué par des problèmes sociaux profondément ancrés, parmi lesquels la violence conjugale.
La majorité des 6 000 agriculteurs urbains que comptent les Cape Flats sont des femmes. La plupart d’entre elles cultivent à toute petite échelle, dans leur propre jardin ; d’autres s’organisent en groupes et vendent une part de leur surplus.
Les agricultrices urbaines assurent la sécurité alimentaire locale
Selon une étude menée en 2011 dans la région, les agricultrices utilisent davantage leur production pour nourrir leur famille que ne le font les agriculteurs.
Elles choisissent souvent de donner une portion significative de leur surplus, plutôt que de la vendre, contribuant ainsi à la sécurité alimentaire locale. Les groupes d’agricultrices donnent en moyenne 25 % de leur production aux crèches, aux cliniques et aux écoles, et en conservent 40 % pour nourrir leur famille.
À l’inverse, les membres de l’un des rares groupes composés exclusivement d’agriculteurs ne gardent que 20 % de leur récolte pour leur famille, et vendent la majorité de leurs produits. Les aliments cultivés par les femmes sont ainsi bien plus accessibles à ceux qui n’ont pas les moyens de les payer.
Partager ainsi la nourriture est une contribution puissante à la formation du capital social, qui joue un rôle vital dans le développement des communautés. Pour les agriculteurs urbains, ce capital diminue la vulnérabilité en créant des réseaux d’entraide et en élargissant les opportunités – formation, accès à la terre ou contributions d’ONG. Ces réseaux permettent de développer des liens entre fermiers et de construire des relations solides avec les organisations de la région.
Un outil d’émancipation pour les femmes
Pour les agricultrices, se réunir est aussi l’occasion de défier des normes patriarcales très enracinées, allant de la violence sexiste à l’accès inégal aux ressources. À Cape Town, un de ces groupes a aidé l’une de ses membres à poursuivre en justice son mari qui abusait d’elle sexuellement.
Dans un autre groupe d’agriculteurs, mixte cette fois, où les hommes intimidaient les femmes pour obtenir leur obéissance, elles se sont alliées pour les évincer de la coopérative.
Ces exemples soulignent combien l’oppression patriarcale y est généralisée et intériorisée par les hommes comme une norme. Ils soulignent aussi les moyens de défense qu’offre aux femmes l’agriculture urbaine en renforçant leur capital social.
Elles y trouvent une voie d’accès à leurs droits et la capacité d’élever leur famille dans des conditions saines. Ces avancées ne sont toutefois possibles que si l’environnement institutionnel encourage spécifiquement les femmes.
À Cape Town, les ONG et le gouvernement local ont mis en place une série de mesures, parmi lesquelles un accès facilité à la terre, des ressources, des formations, ainsi que des services de vulgarisation, dont le rôle est d’intervenir auprès des agriculteurs pour les aider à maximiser leur rendement et mettre en place de nouvelles techniques agricoles. Elles permettent à toutes les femmes, y compris les plus marginalisée économiquement, d’accéder via l’agriculture urbaine à des moyens de subsistance viables.
Des obstacles à surmonter
La ville de Cape Town et les ONG locales ont fait en ce sens des progrès considérables depuis 1984, lorsque le gouvernement a commencé à tenir compte de l’agriculture urbaine dans les Cape Flats. Désormais, des milliers de femmes ont été formées et soutenues, et de nouvelles ONG se sont établies dans la région.
Celles-ci emploient prioritairement des femmes des communautés locales, et souvent à des postes-clés : agents de vulgarisations, gestionnaires de projets, directrices de groupes agricoles ou de programmes.
À Cape Town, l’avenir de l’agriculture urbaine et son rôle auprès des femmes suppose encore de surmonter certains obstacles. Il faudrait, entre autres, faciliter l’accès à la terre aux personnes peu éduquées et en difficulté face à la bureaucratie, et stabiliser les budgets des ONGs, très volatiles du fait de leur dépendance aux donateurs.
Il existe un potentiel réel pour créer des modes de subsistance résilients chez les ménages de Cape Town les plus marginalisés économiquement. Pour cela, il faudra développer l’agriculture urbaine à plus grande échelle.
Traduit de l’anglais par Nolwenn Jaumouillé.
David W. Olivier, Postdoctoral Research Fellow, Global Change Institute, University of the Witwatersrand
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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