L'intellectuel et prêtre péruvien Gustavo Gutierrez, considéré comme le père de la théologie de la Libération, un courant de pensée chrétienne centré sur la dignité des pauvres, est décédé mardi à Lima à l'âge de 96 ans.
"La province dominicaine de San Juan Bautista del Peru a le regret d'informer qu'aujourd'hui, 22 octobre 2024, notre cher frère Gustavo Gutierrez Merino s'est rendu à la Maison du Père", a annoncé l'ordre religieux sur les réseaux sociaux, une formule signifiant qu'il est mort.
"Son travail en faveur des pauvres et des laissés-pour-compte de la société continuera d'éclairer le chemin de l'Eglise pour un monde plus juste et plus fraternel", a réagi l'Institut Bartolomé de las Casas, un centre de soins pour les déshérités que le prêtre fonda en 1974.
L'ordre dominicain du Pérou a annoncé que des messes seraient célébrées en son honneur dans les prochains jours et qu'un hommage lui serait rendu dans la basilique Santo Domingo de Lima.
Sa dépouille reposera à partir de mercredi soir dans une salle de recueillement de la communauté dominicaine de la capitale.
Gustavo Gutierrez, devenu dominicain à 76 ans, comptait parmi les prêtres qui dénonçaient les injustices et les inégalités du sous-continent américain.
Il écrivit le premier grand traité sur le sujet dans un livre "Théologie de la Libération : perspectives", paru en 1971 et traduit dans le monde entier.
Son ouvrage offre une nouvelle spiritualité fondée sur la solidarité avec les pauvres et exhorte l'Eglise à participer au changement des institutions sociales et économiques pour promouvoir plus de justice sociale.
À sa suite, de nombreux catholiques latino-américains ont écrit sur le sujet.
Certains ont été critiqués par le Vatican - et en particulier par Jean-Paul II - pour avoir adopté une grille de lecture jugée marxiste et révolutionnaire du thème de la libération chrétienne. Le père Gutierrez, lui, n'a jamais rompu avec l'Eglise.
Ravages du capitalisme
Gustavo Gutierrez a reçu un grand nombre de diplômes honoris causa et de récompenses dans le monde entier. En 1993, il reçoit notamment en France la Légion d'honneur et entre en 2002 à l'Académie américaine des arts et des sciences.
Né le 8 juin 1928 à Lima, il grandit dans une famille modeste mais érudite.
Son intérêt pour la psychologie et la philosophie le pousse à faire des études de médecine pour devenir psychiatre. Mais à 24 ans, sa vocation de prêtre se fait plus forte: diplômé de médecine en 1950 à Lima, il part à l'université catholique de Louvain, en Belgique, où il étudie la psychologie et la philosophie, puis à l'université catholique de Lyon, en France, où il étudie la théologie.
Ordonné prêtre en 1959, il retourne au Pérou et devient curé de la paroisse de Rimac, un quartier pauvre de Lima.
C'est en côtoyant la misère qu'il construit sa pensée: la théologie de la Libération propose de soulager les pauvres de leurs conditions de vie mais aussi d'en faire les acteurs de leur propre libération.
Il prône une réorganisation de la société et dénonce les ravages du capitalisme, responsable, selon lui, des souffrances d'innombrables "frères et sœurs humains".
Dans le même temps, Gustavo Guttierez enseigne à l'université pontificale du Pérou et dans plusieurs universités nord-américaines et européennes.
La théologie de la Libération s'inscrit dans un mouvement socio-politique plus large à une époque où l'Amérique latine est divisée par de profondes inégalités. Après l'installation de régimes militaires au cours des années 60 à 70 dans la plupart des pays d'Amérique latine, les militants de la théorie de la libération participeront activement à la résistance contre ces dictatures.
Pour ses 90 ans, le pape François avait salué son "service théologique" et "son amour préférentiel pour les pauvres et les exclus de la société". Le pape l'avait remercié pour "sa façon d'interpeller la conscience de chacun, afin que personne ne reste indifférent au drame de la pauvreté et de l'exclusion".
En 2018, le pape argentin avait canonisé une autre figure majeure de la théorie de la Libération, Mgr Romero, qui avait été assassiné en pleine messe en 1980 au Salvador.
La Rédaction (avec AFP)