Débat sur les tradwives : Ce phénomène ne serait-il pas une arnaque ?

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Avec leur maquillage impeccable, leurs robes midi plissées et leurs tabliers à carreaux, elles ont tout de la ménagère des années 50. Elles préparent de savoureux repas, sont heureuses de dépendre financièrement de leur époux et dédient leur vie au bien être de leur famille. "Soyez féminines, pas féministes", clament ses tradwives ou "épouses traditionnelles" en français qui basent souvent leur discours sur des valeurs chrétiennes. 

Nos deux chroniqueurs Jonathan Peterschmitt et Raphael Anzenberger s'emparent de ce sujet pour nous apporter leur éclairage sur cette tendance qui a enflammé les réseaux sociaux de l'autre côté de l'Atlantique et commence à se propager en France, au point d'inquiéter le Haut Conseil à l’Egalité dans son rapport annuel sur l’état du sexisme.

Les tradwives, c’est de l’arnaque. En tout cas, c’est que dit ma femme. Explications.

Sur la forme, les tradwives sont avant tout des influenceuses et respectent les codes des médias sociaux à la perfection. C'est un travail colossal et qui ne reflète pas forcément la réalité d'une mère au foyer. C'est quelquefois quasi-fictionnel, pour ne pas dire par endroits mensonger. Tu as déjà réussi à faire une tarte aux pommes impeccable sans que tes enfants mettent toute ta cuisine en chantier, le tout sous fond de musique classique ? Ma femme a élevé quatre enfants en choisissant de rester à la maison, alors que je me déplaçais par monts et par vaux. Je l’ai souvent vu bien découragée, après une journée de travail qui commençait très tôt pour se finir trop tard. C’est plutôt ça la réalité d’une famille nombreuse. Pas trop glamour, mais beaucoup d’amour quand même.

Sur le fond, les tradwives répondent à une frange du féminisme américain en réaction à la femme traditionnelle des années 50. Pour ces dernières, les sacrifices, ça suffit. La femme est l’égale de l’homme, et le choix d’une carrière, avec ou sans enfant, est précisément cela : un choix personnel, et non une obligation envers la nation (ou Dieu). Un féminisme emprunt de carriérisme je suppose.

Or ce phénomène n'est pas aussi présent en France. Ayant vécu dans ces deux pays, j’apprécie le profond fossé qui sépare ces deux cultures. Par exemple, la plupart des femmes en France continuent à travailler après avoir eu des enfants. Mais elle cherche un environnement de travail qui puisse concilier leur carrière et leur vie de famille, d’où le développement des postes à mi-temps, ou quatre jours semaine. Ce choix est renforcé par le fait que le gouvernement supplée le manque de revenu par les allocations familiales, qui, particularité française, ne sont pas indexées sur le revenu familial.

Autrement dit, une femme dentiste touche les mêmes allocations qu’une femme au foyer à nombre d’enfants égal. Révolutionnaire ! Un autre particularisme qui distingue ces deux sociétés, c’est que le marché du travail américain demande une flexibilité et adaptabilité beaucoup plus importante des salariés. C’est un peu darwinien comme environnement. Sans parler des deux semaines de congés payés qui partent en fumée sitôt comme vous tournez le dos. Comparé à la France et ses cinq semaines, tous les jours fériés avec ou sans pont, sa semaine de travail de 35h… Comment dire, on n’est pas loin de la petite maison dans la prairie. Version camping des flots bleus. Autrement dit, le féminisme américain n’a pas les mêmes ressorts en France, vouloir superposer les deux pour n’en faire qu’un est une erreur d’analyse sociologique fondamentale.

À chaque fois que je suis en déplacement, ma femme m’envoie des vidéos de tradwives. J’en ai une belle collection sur mon portable. Ce qui la dérange le plus dans tout ça ? C’est que les femmes qui ont fait le choix de rester au foyer se comparent aux tradwives et se disent : "je n’y arriverai jamais ! "

Entre la version Instagram romancée et la réalité du quotidien, l’écart est trop grand, le rêve est inatteignable, le décor craque. Ces héroïnes de tous les jours sont effacées au profit d’un personnage créé dans un monde virtuel. C’est beau à l’écran, mais ça ne tient pas dans la vraie vie. 

Les tradwives sur internet, c’est vraiment de l’arnaque.

Raphaël Anzenberger est dirigeant évangélique, conférencier et auteur. De formation universitaire en économie, philosophie et théologie, il intervient régulièrement sur le développement des spiritualités contemporaines en contexte sécularisé. Il est président de imagoDei.


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