
Asia Bibi a coécrit Enfin libre ! avec celle qu’elle appelle sa « soeur de coeur », Anne-Isabelle Tollet. Grand reporter et ancienne correspondante au Pakistan, Anne-Isabelle n’avait eu de cesse d’alerter la communauté internationale sur le sort de celle qui avait été accusée de blasphème pour avoir bu un verre d’eau.
Enfin libre ! vous permet de rentrer dans les coulisses de la quête de liberté d’Asia Bibi, désormais réfugiée au Canada. Elle raconte dans un texte bouleversant ses neuf années d’emprisonnement, faites de violence, de persécution, d’isolement, d’attente angoissante, mais aussi de ses précieux soutiens et de l’amour sans faille de son mari Ashiq et de ses filles. Asia pense qu’ainsi, nous pourrons « comprendre [s]a souffrance ».
« Mon histoire, vous la connaissez à travers les médias, vous avez peut-être essayé de vous mettre à ma place pour comprendre ma souffrance... Mais vous êtes loin de vous représenter mon quotidien, en prison, ou dans ma nouvelle vie et c’est pourquoi, dans ce livre, je vous dit tout. »
Enfin libre ! commence « dans le noir », sous les cris des codétenues « à mort, la blasphématrice ! », « pendue ! », au coeur de la prison de Shekhupura, où Asia a passé 3 années.
« Mes poignets brûlent, je peine à respirer. Mon cou, que ma toute dernière avait l’habitude d’enlacer de ses petits bras, est comprimé dans un collier de fer que le garde peut serrer à volonté avec un énorme écrou. Une longue chaîne traîne sur le sol crasseux, elle relie ma gorge à la main menottée du gardien qui me tire comme un chien en laisse. Au plus profond de moi, une peur sourde m’entraîne vers la profondeur des ténèbres. Une peur lancinante qui ne me quittera jamais. À ce moment précis, j’aurais voulu me soustraire à la dureté de ce monde. »
Le gardien qui la traîne de la sorte, c’est Khalil. En lisant Enfin libre !, vous comprendrez qu’il y a pire.
Asia Bibi raconte également le jour où tout a commencé. L’histoire du verre d’eau, un jour de cueillette sous une chaleur de plomb, qui sera à l’origine d’un déferlement de haine.
« Cette chaleur me coupait le souffle ! Ma gorge était si sèche que j’arrivais à peine à décoller mes lèvres et ma langue semblait avoir doublé de volume. [...] Je me suis approchée du puits, l’eau fraîche et brillante chantait comme une douceur de fête. j’ai rempli la timbale cabossée qui était là, posée sur le rebord, et j’ai bu à grandes gorgées. [...] Puis j’ai entendu siffler ‘haram’. Je connaissais la signification de ce mot, et j’ai compris qu’il m’était adressé. J’ai levé les yeux. Interrompant leur ouvrage, les femmes me fixaient. Mon regard a croisé les yeux pleins de haine de Mafia, qui avait apostrophé la femme à mes côtés. »
S’en suit alors leur conversation, et ce qu’Asia appelle son « audace ».
« Aimez-vous les uns, les autres, c’est ce que nous enseigne Jésus. Je suis sûre que votre Prophète Mahomet serait d’accord avec lui. [...] Ma religion nous enseigne à respecter tout le monde, avec nos différences. Et je suis sûre que votre Prophète serait d’accord avec ça. »
Ces mots résonneront souvent en elle au cours de ces années de prison. Si elle a pu se demander s’il s’agissait d’orgueil, elle s’est toujours donnée raison de ne pas avoir renié Jésus.
Asia raconte ensuite la pression des mollhas, des policiers, le verdict du tribunal. Son effondrement à l’annonce de la peine de mort. Et l’angoisse de l’attente, rythmée par les bottes du surveillant Khalil.
« Dix jours après la mascarade de mon procès en première instance, j’ai entendu des bruits de pas rapides et impatients dans le couloir. Mon genou me faisait souffrir à cause du coup de botte de Khalil. Mes mains et mes pieds étaient engourdis, et je me suis redressée péniblement sur ma couche, comme si j’avais 100 ans. Les pas se sont arrêtés net devant ma porte, et mon coeur s’est mis à battre comme un tambour. Je n’avais pas peur de la mort mais j’avais peur de mourir. Je sais que, quand ça arrivera, Dieu, là-haut, se trouvera au bout de mon chemin et m’accueillera en souriant. Silence. J’étais pétrifiée et persuadée que je vivais mes derniers instants. [...] Puisque le juge avait prononcé son funeste verdict, je risquais à chaque instant de me retrouver avec une corde au cou. »
Cette fois-ci, la mort n’était pas au bout du couloir. C’était la présence bienveillante d’Ashiq qui l’attendait pour son premier parloir. Car Enfin libre !, c’est également d’heureux moments de bonheur, des pauses dans l’horreur, où Asia peut, l’espace dans instant, se replonger dans son bonheur d’avant, mais aussi dans l’espoir d’un futur meilleur, quand elle découvre le soutien du Pape et de la communauté internationale.
Ashiq ne sera en effet pas son seul soutien. Asia évoquera tout au long du livre plusieurs personnes qui ont joué un rôle capital, dans sa vie quotidienne comme dans sa libération. Vous connaissez déjà les rôles primordiaux de Salman Taseer, Imran Khan, ou encore de Saif-ul-Mulook, mais vous allez découvrir ceux, essentiels, de Bouguina et Mamita.
Enfin libre ! vous guidera tout au long des nombreux rebondissements de cette emblématique affaire de blasphème. Asia vous racontera ce moment précieux, où, au téléphone son avocat lui annoncera le verdict de la Cour Suprême.
« J’ai l’honneur de vous annoncer que vous venez d’être acquittée ar la Cour Suprême. [...] Vous êtes en être humain libre maintenant. [...] Vous pouvez prendre votre envol et aller où vous voulez. »
Mais pour le vol, Asia devra encore attendre, car les islamistes n’en ont pas fini avec elle. Il faudra encore de longs mois avant qu’elle ne rejoigne ses filles au Canada, où elle vit désormais dans un endroit tenu secret car Asia est toujours la cible des extrémistes qui réclament sa mort.
« Je prie aussi pour que les islamistes, qui vont me chercher toute leur vie, ne me retrouvent jamais. »
Aujourd’hui, dans la cellule d’Asia, il y a une autre chrétienne accusée de blasphème, Kausar Shagufta, maman de quatre enfants, illettrée accusée d’avoir, avec son mari, envoyé des SMS blasphématoires en anglais.
Le livre Enfin libre ! est paru aux édictions du Rocher.
M.C.
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