Il semble donc y avoir autour de nous un nombre croissant de personnes qui croient des choses assez inquiétantes sur le monde qui nous entoure, notamment en ce qui concerne la situation sanitaire que nous traversons avec le Covid 19, et sur le rôle du gouvernement français qui saurait et laisserait faire… Les motifs présumés de tels agissements seraient variés comme on l’a vu précédemment : l’argent, la volonté d’établir et de posséder un pouvoir mondial absolu, la volonté de résoudre le problème du changement climatique ou encore la peur face aux désastres (environnementaux et autres) qui se profilent à l’horizon.
Ces insinuations, qui sont comme un bruit de fond grandissant dans la société, ne sont pas sans conséquences : à force de laisser entendre que les riches, les puissants, les médias, le gouvernement sont de connivence et veulent tuer les pauvres gens comme vous et moi, ou à tout le moins nous réduire en dictature, les complotistes créent ou propagent un véritable mécontentement populaire qui peut avoir de vrais conséquences qui vont du non-respect des mesures visant à limiter le Covid, à la défiance vis-à-vis du gouvernement, à l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement extrémiste (de droite ou de gauche), voire à une dictature, bien réelle cette fois.
Toute cette cacophonie de discours délégitime la science (climatique par exemple), ou a minima nous distrait des vrais problèmes auxquels nous devons faire face (dans le film Kingsman cité précédemment – une fiction, rappelons-le – les héros du film réussissent leur mission : ils tuent tous les artisans du complot mondial. Mais une fois qu’ils ont dézingué le principal instigateur et ses complices, le problème qui a au départ incité le méchant du film à comploter pour supprimer l’essentiel de la population mondiale – lui, n’est toujours pas réglé. Ce problème, c’est le changement climatique. L’humanité court donc toujours à sa perte et le problème reste donc entier, mais le film ne s’attarde pas sur ce « détail »…).
Ayant été formé moi-même au métier d’historien et ayant formé des étudiants dans plusieurs universités en France et à l’étranger aux techniques courantes de la discipline historique dite « scientifique » (même s’il s’agit d’une science humaine et qu’à ce titre elle n’est pas « scientifique » au même titre que les sciences dites expérimentales), j’aurais quelques remarques qui j’espère pourront être utiles pour démêler les informations que l’on reçoit. Les techniques des historiens sont utiles pour démêler le vrai du faux. On pourrait citer notamment la technique du croisement et de la critique – interne et externe - des sources. Il s’agit de s’interroger, face à tout document, sur la nature du document, l’auteur, et le contexte. Autrement dit, face à un article ou une vidéo, se poser les bonnes questions sur : d’où vient cette information ? Qui a produit/écrit cet article ? Dans quel but ? Qui est l’auteur ? Est-il légitime ? La publication est-elle sérieuse, reconnue pour être fiable ? Etc…
Ces informations sont utiles pour se repérer, mais elles ne sont pas toujours suffisantes… Ce sont des indicateurs, un peu comme une enquête policière qui accumule des indices pour se forger une conviction.
En consultant différents documents et sites complotistes ces dernières semaines, j’ai remarqué un nombre invraisemblable d’erreurs factuelles, de raccourcis, d’approximations, à un point tel que je ne peux m’empêcher pour le coup de croire à une véritable manipulation. (On peut se demander à qui profite le crime : très certainement aux leaders aux extrêmes de l’échiquier politique, qui font leur lit du mécontentement de la population et qui aspirent à arriver au pouvoir, mais il y a aussi certainement de simples mécontents qui veulent prendre leur « revanche » sur la société ou faire du « buzz » ….)
Voici un petit récit de mes aventures au pays des complotistes et les principales techniques de manipulation que j’ai repérées (liste non-exhaustive) :
1- Attention aux soi-disant résumés des articles qui ne correspondent pas au contenu
A plusieurs reprises (typiquement sur Facebook), j’ai vu un article provenant de sources réputées précédé d’un titre et d’un soi-disant « résumé » de cet article. Mais je me suis rendu compte que le titre et le résumé – souvent les seuls contenus lus par ceux qui partagent ces articles - ne correspondaient pas du tout au contenu de l’article cité en « référence », allant souvent jusqu’à dire exactement le contraire dudit article. Pour se rendre compte de la supercherie, encore faut-il (a) lire en entier les articles qu’on partage ; (b) lire l’anglais quand l’article partagé est en anglais ! (malheureusement, les exemples que j’avais pu identifier ont été supprimés par mes amis de Facebook après que je leur aie signalé l’intox, et je ne peux donc plus les retrouver).
2- Attention aux titres sensationnels qui exagèrent voire dénaturent complètement l’information
Parfois l’article partagé (là encore typiquement sur les réseaux sociaux) a un titre sensationnel. Par exemple, mon ami m’a envoyé un article avec un titre accrocheur : « Covid-19 : une étude accuse le confinement d’avoir aggravé la contagion », publié dans Valeurs Actuelles (mon ami est convaincu qu’on nous impose un confinement qui ne sert à rien, dont l’efficacité n’est pas du tout prouvée, dans le but de nous habituer à la privation de liberté, etc.). Or le sous-titre de l’article (« cette étude (…) établit que le confinement n’est pas d’une plus grande utilité que les gestes barrières ») est déjà bien différent. C’est très douteux d’un point de vue déontologique. Mais en suivant la source, on est alors renvoyé à un deuxième article, du journal Les Echos cette fois, dont le titre est là aussi beaucoup plus nuancé: « L’étude qui met en cause l’efficacité des confinements » (remarquez le glissement sémantique : on est donc très loin du 1er titre qui disait « aggraver la contagion »). Heureusement Les Echos citent eux-aussi leur source et on finit par arriver sur l’étude originale elle-même (en anglais), « Assessing mandatory stay‐at‐home and business closure effects on the spread of COVID‐19 ».
Cette étude est encore une fois plus nuancée que le titre de Les Echos puisqu’elle indique seulement en conclusion:
« While small benefits cannot be excluded, we do not find significant benefits on case growth of more restrictive NPIs [nonpharmaceutical interventions]. Similar reductions in case growth may be achievable with less‐restrictive interventions. »
Ce que cette étude semble donc établir, c’est qu’en comparant une situation de confinement comme celle de la France à une situation où les mesures ont été moins restrictives (comme en Suède), les bénéfices ont été similaires. Sauf que, évidemment, quand j’en parle à un ami suédois il m’explique qu’en Suède la population suit beaucoup plus les directives du gouvernement et respecte les mesures barrières, ce qui était moins souvent le cas en France. Cette étude est donc très loin de prouver ce que ces différents articles aux titres provocateurs semblaient laisser penser. Une petite recherche complémentaire sur Wikipédia révèle aussi que l’un des auteurs de cet article est connu pour ses positions controversées et qui ne font pas consensus sur le Covid ; encore faut-il lire l’article en Anglais, l’article en Français étant incomplet. Cela n’est qu’un exemple, mais je crois révélateur, d’une tentative de berner les gens.
Car bien sûr le confinement a permis de faire baisser les contaminations au coronavirus, comme le montrent des tas d’autres études - mais évidemment, dans des journaux « mainstream », donc disqualifiés d’avance ... Au final, le titre de l’article du journal ne reflétait absolument pas le contenu beaucoup plus nuancé de l’article scientifique qui était la source de l’information d’origine. Mais le mal était fait, car les gens lisent juste le titre ou le résumé et croient du coup savoir quelque chose de bien établi. Là encore, avant de partager un article au titre sensationnel, assurez-vous qu’il tient la route.
3- Attention aux vidéos de « têtes parlantes »
Le principal vecteur de diffusion des idées conspirationnistes est la vidéo. Mon ami m’a ainsi partagé des vidéos, typiquement de « têtes parlantes », des experts qui viennent asséner des « vérités » iconoclastes. Le problème de ces vidéos est que, contrairement à un article, il est justement beaucoup plus difficile de vérifier les sources.Dans une de ces vidéos (vue quand même apparemment 400 000 fois) un soi-disant expert belge, docteur en philosophie, Michel Weber, laisse entendre ainsi que la prise de pouvoir par Pinochet en 1973 au Chili résultait de la réaction des « oligarques et des nantis » suite à la publication du rapport du Club de Rome en 1972 (le but étant, je présume, de faire croire aux auditeurs que les élites – commanditaires dudit rapport du club de Rome – avaient, seul, compris dès 1972 qu’un gros problème d’épuisement des ressources, de limites physiques à la croissance, allait se poser dans l’avenir et qu’il leur fallait d’urgence « prendre le pouvoir »…).
Hypothèse qui apparaît pour le moins farfelue à l’historien que je suis, pour laquelle cette personne n’apportait aucun élément de preuve dans cette vidéo (peut-être apporte-t-il des arguments dans son livre COVID-1984: ou La vérité (politique) du mensonge sanitaire : un fascisme numérique) mais mon ami ne l’avait pas lu. Les vidéos sont donc problématiques si elles ne citent pas leurs sources et ne devraient pas être utilisées comme « preuves » ; en plus la manipulation des vidéos a grandement progressé aujourd’hui et il est possible assez facilement de falsifier des segments vidéo. Donc méfiance vis-à-vis des vidéos qui ne citent pas leurs sources, surtout celles provenant de sites internet ou d’origines peu fiables.
4- Attention aux petites phrases sorties de leur contexte :
Dans d’autres cas, des vidéos souvent très courtes, reprenaient quelques « petites phrases » d’un long discours, complètement sorties de leur contexte. Par exemple, la phrase d’Emmanuel Macron début 2020 interprétée comme annonçant l’arrivée de la bête de l’Apocalypse. Dans un entretien au Financial Times en avril 2020, le président Français a dit « Après, je crois que notre génération doit savoir que la bête de l’événement est là, et elle arrive. » Phrase énigmatique, en effet, qui m’a interpelé quand mon ami m’a partagé le court extrait vidéo de notre président… jusqu’à ce que j’aille voir ce qu’il en était véritablement. Je recommande la technique utilisée par ce journaliste du Monde intitulé « Macron et « l’arrivée de la Bête » (de l’Apocalypse) : comment remonter le fil de cette petite phrase » pour tirer cette affaire au clair.
Mais de multiples autres vidéos recourent à la même technique de juxtaposition de phrases sorties de leur contexte. Ces vidéos disent rarement où, quand, comment et dans quel contexte ces phrases ont été dites ; ou quand elles le disent, peu d’internautes prennent le temps de retrouver le contexte complet. Or on peut faire dire à peu près n’importe quoi à une phrase ou un extrait vidéo sorti de son contexte. Les Chrétiens en particulier devraient être attentifs à cela, eux qui savent qu’on peut faire dire aussi presque n’importe quoi à un verset sorti de son contexte.
Satan lui-même ne s’est-il pas appuyé sur des versets des Ecritures pour tenter Jésus au désert ?
Jean-François Mouhot,
Directeur de l’Association A Rocha France
Cet article est la deuxième partie d’un long article intitulé « Covid, Climat, Complots : quelques pistes de réflexions », publié en 4 parties du 16 au 19 mars sur InfoChrétienne. Retrouvez les différentes parties ici: Partie I - Partie III - Partie IV.