Après un an et demi de pandémie de Covid-19, la recherche scientifique a eu le temps d’investiguer la maladie et les spécificités de son développement. Après l’âge, l’obésité est désormais considérée comme le deuxième facteur de risque d’être hospitalisé suite à une infection par le virus SARS-CoV-2.
Le lien entre obésité et maladies respiratoires ayant déjà été établi, par exemple pour l’apnée du sommeil, cette corrélation ne nous a pas particulièrement surpris.
Néanmoins, des interrogations demeurent pour expliquer les mécanismes impliqués et notamment quant au rôle du tissu adipeux dans la sévérité de la maladie.
Depuis les débuts de l’épidémie, les données s’accumulent pour montrer que parmi les patients atteints de la Covid, environ 5 % sont hospitalisés en soins intensifs du fait de l’emballement de leur système immunitaire associé à une réaction inflammatoire excessive. C’est le fameux « orage cytokinique ».
Les patients obèses semblent y être particulièrement vulnérables. Pour améliorer la prise en charge et identifier des traitements adaptés, il est essentiel de comprendre pourquoi, et d’identifier quelles caractéristiques biologiques et immunologiques participent à ce phénomène.
Le rôle du tissu adipeux
L’obésité ne correspond pas seulement à un indice de masse corporelle (IMC) élevé – soit le poids divisé par la taille au carré, égal ou supérieur à 30kg/m2 >. Elle se caractérise également par un excès de tissu adipeux (l’ensemble des cellules stockant les graisses, ou adipocytes). Par ailleurs, les personnes avec un IMC élevé présentent des signes persistants d’inflammation liés à la production, par le tissu adipeux, de résidus métaboliques que certaines cellules immunitaires identifient comme des « signaux de danger ».
Du fait de cette inflammation préexistante, plusieurs équipes de recherche avaient émis l’hypothèse que ces patients seraient plus à risque de développer une forme sévère de la maladie. L’infection pulmonaire par le SARS-CoV-2 aggraverait ainsi l’inflammation préexistante, créant des dégâts plus importants au niveau des poumons et se généralisant dans les cas les plus sévères à d’autres organes.
Toujours à l’étude, cette piste n’explique toutefois pas pourquoi une telle inflammation n’est pas observée à un degré similaire chez les personnes obèses lors d’infections par d’autres coronavirus, comme le MERS-CoV ou le SARS-CoV. Il est donc essentiel de poursuivre les investigations pour déterminer quelles sont les particularités du SARS-CoV-2 qui entraînent un tel emballement immunitaire en cas d’obésité.
Infection et inflammation
Une autre piste de recherche se dessine : lors de l’infection par le virus SARS-CoV-2, la réponse du système immunitaire entraîne un afflux de cytokines pro-inflammatoires – de petites protéines sécrétées par les cellules immunitaires, et qui contribuent à orienter notre défense. Les interactions entre cytokines et adipocytes du tissu adipeux seraient responsables de l’inflammation excessive observée.
Stimulés par ces cytokines, les adipocytes vont également activer les voies de dégradation des lipides qu’ils stockent, ce qui conduit à la libération de quantités importantes d’acides gras dans l’organisme. Cette altération du métabolisme lipidique accentuerait les processus inflammatoires et contribuerait à la destruction de cellules au niveau de certains organes.
Il faut également noter ici que l’obésité masculine favorise une accumulation du tissu adipeux dans la cavité viscérale et donc à proximité des organes vitaux. Ce qui pourrait en partie expliquer la plus grande sévérité des infections Covid-19 chez les hommes par rapport aux femmes.
D’autres pistes encore à explorer
Il est également nécessaire de poursuivre les travaux sur le rôle du récepteur ACE2. Présent à la surface de différents types cellulaires, ce dernier joue un rôle clé auprès du SARS-CoV-2 responsable de la Covid-19 puisque c’est lui qui permet l’entrée de ce virus dans les cellules de l’hôte. Or, de nombreux récepteurs ACE2 sont présents à la surface des adipocytes, faisant donc de ce tissu un réservoir potentiel pour la réplication virale. Présentant un nombre d’adipocytes plus élevé, les personnes obèses ont par ailleurs une surface de cellules pouvant être infectée plus importante.
En outre, il peut être intéressant d’étudier le système hormonal Rénine-Angiotensine-Aldosterone de l’organisme, qui joue un rôle physiologique essentiel dans la régulation cardiaque, rénale et de la pression artérielle. De nombreux acteurs de ce système se trouvent présents dans le tissu adipeux, et pourraient établir un lien avec l’hypertension qui est un autre facteur de risque de sévérité de la maladie Covid-19.
Enfin, il convient de rappeler que les lipides stockés par les adipocytes jouent un rôle clé dans le cycle de vie des virus : ils fournissent notamment l’énergie nécessaire à la réplication virale, mais jouent aussi un rôle crucial dans l’entrée du virus dans la cellule infectée, comme dans la libération de nouvelles particules virales.
La compréhension de ces mécanismes doit encore être approfondie, mais il est probable que ceux-ci expliquent en partie la sévérité de l’infection chez les patients obèses.
Perspectives et recherche thérapeutique
À mesure que nos connaissances sur cette nouvelle maladie progressent, nous nous rendons compte de la diversité et de la complexité des symptômes. Ceux-ci semblent établir un lien évident entre la sévérité de l’infection Covid-19 et la préexistence de différents facteurs de risque, parmi lesquels l’obésité est aujourd’hui l’un des mieux validés. Toutefois, mettre en évidence les liens possibles entre ces différents facteurs de risque nécessite à présent une stratification optimale de l’ensemble des patients Covid-19. En d’autres termes, il faut que l’ensemble des paramètres physiologiques et cliniques pour chaque patient puisse être référencé afin d’en permettre une analyse détaillée.
Des équipes de recherche travaillent déjà sur la base de ces hypothèses à développer de nouveaux traitements, notamment des molécules ciblant le récepteur ACE2 et capables de bloquer l’entrée du virus dans les cellules. Dans l’attente de résultats prometteurs, des interventions sur le mode de vie, pour limiter les problèmes liés à l’obésité, pourraient être envisagées. Par exemple, plusieurs études ont mis en avant l’intérêt d’un régime méditerranéen et d’une activité physique régulière pour réduire à plus long terme les signes d’inflammation chronique chez les personnes obèses.
Au-delà de ces travaux, il sera aussi essentiel de proposer un suivi adéquat à ces patients, afin de comprendre s’ils sont également plus à risque de séquelles.
Nicolas Vitale, Directeur de recherche, Inserm
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.