Corée du Sud : Vote de destitution de la Présidente dirigée par un gourou

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L’Impératrice de Russie Alexandra Fiodorovna Romanova avait Raspoutine pour guide, un mystique qui influençait indirectement le pouvoir grâce à elle. La Présidente sud-coréenne, Park Geun-hy, a également son Raspoutine, Choi Soon-sil, une femme qui a dirigé dans l’ombre sa politique et fait des bénéfices de façon tout aussi occulte. Après des semaines de contestation populaire suite à la découverte de cette relation, les députés ont voté, ce vendredi, une motion de destitution de Park. La Cour constitutionnelle doit toutefois valider le choix du Parlement de déposer le chef de l’État.

Le pays du matin frais s’était réveillé avec la gueule de bois au lendemain des révélations par plusieurs médias des liens entre la Présidente Park et l’obscure Choi Soon-sil, fille d’un guide chamane et qualifiée par les journalistes de Raspoutine, qui avait acquis une telle emprise sur le chef de l’État qu’elle dirigeait quasiment le pays. Le 24 octobre dernier, la chaîne câblée JTBC avait appris aux Sud-Coréens que Choi Soon-sil avait en sa possession plus de 200 documents de la Présidence, dont des discours de la tête de l’exécutif. Depuis plusieurs semaines, une enquête était menée sur la relation trouble entre les deux femmes, mais une telle révélation publique ne pouvait que sonner rapidement le glas de la carrière politique de Park. Dès le jour de la révélation, des citoyens demandaient en justice que les auteurs de la fuite fussent punis. C’était le prélude de la révolte populaire contre une Présidente déjà critiquée pour son autoritarisme.

Une colère ferme et durable, le sentiment d’être face à quelque chose d’impardonnable sur le plan politique

De nombreuses manifestations rassemblant des millions de personnes ont débuté fin octobre, avec pour slogan un message sans équivoque : « Park, dégage ! » Une colère ferme et durable, le sentiment d’être face à quelque chose d’impardonnable sur le plan politique. La direction autoritaire de Park était encore davantage vue comme critiquable que quelques dizaines d’heures auparavant, puisque cette ligne dure avait probablement été tracée par un de gourou sans réalité officielle, et alors que le pays est menacé par son voisin septentrional, la Corée du Nord. Diverses révélations ont permis aux Sud-Coréens de prendre la mesure de l’influence de Choi Soon-sil sur la Présidente.

La Présidente dirigée par un gourou, des choix vestimentaires à sa politique

D’après les divers témoignages, le chef de l’État s’est avéré être un pantin entre les mains de Mme Choi
L’audience du 7 décembre devant la commission parlementaire enquêtant sur cette relation abusive, en vue de proposer ou non un vote sur la destitution de Mme Park, a vu défiler les personnalités proches de la Présidente ; après les témoignages des grands capitaines d’entreprise, dont celui de Samsung, qui avaient dû verser de l’argent à son gourou. Selon les divers témoignages, le chef de l’État s’est avéré être un pantin entre les mains de Mme Choi qui décidait de quasiment tout, de sa garde-robe jusqu’à sa politique. C’est Choi qui a choisi les hanbok, l’habit traditionnel coréen. D’après l’ancien vice-ministre des sports, Kim Chong, le gourou avait choisi pour la Présidente une centaine de vêtements et une quarantaine de sacs qu’elle devait porter en public. Mais cette influence ne s’arrête pas aux détails de l’apparence vestimentaire, elle concerne aussi ceux de la présentation politique, puisque le Raspoutine de Park s’occupait de contrôler ses discours, donnant le la politique. Kim avait été arrêté pour avoir favorisé le gourou dans la passation de contrats publics lucratifs et l’avoir aidé à s’investir dans les préparatifs de l’organisation des Jeux Olympiques d’hiver de 2018.

Le réalisateur de clips vidéos Cha Eun-taek, qui avait collaboré avec le chanteur Psy, auteur du fameux Gangnam Style, et qui a été inculpé fin novembre pour avoir profité de sa relation avec Mme Choi afin de décrocher de juteux contrats, a expliqué devant la commission parlementaire que Choi Soon-sil lui avait demandé de lui donner des noms de personnalités pour occuper les postes de ministre de la Culture et de conseiller présidentiel à la culture. Quand les personnes proposées ont obtenu ces fonctions, M. Cha s’est demandé « Quel genre de personne peut faire quelque chose comme ça ? », a-t-il déclaré à la commission, précisant que les liens entre Park et Choi étaient « extrêmement serrés ». Les procureurs affirment que la Présidente a ordonné à son conseiller économique d’alors d’exercer des pressions sur les entreprises publiques et privées pour qu’elles signent des contrats avec le réalisateur. Choi Soon-sil a refusé de se rendre à la convocation, prétextant des soucis de santé.

Des affaires de famille dans l’affaire politique

Cet ascendant de la vieille amie de la Présidente Park sur le Gouvernement a donc également trouvé son pendant sur les entreprises. Samsung aurait ainsi dû verser l’équivalent d’1,2 million d’euros à une ténébreuse fondation sportive contrôlée par une nièce de Choi, Jang Si-ho, qui était par ailleurs son assistante. Pour se justifier, Mme Jang a décrit sa tante comme une personne à qui il est impossible de s’opposer. Les entreprises n’ont pas davantage réussi à lui dire non, et, au total, Samsung a donné aux diverses fondations du gourou 20 milliards de won (environ 16 millions d’euros), et a dû financer une formation équestre de la fille de Choi en Allemagne. La justice allemande a d’ailleurs décidé d’enquêter sur cette dernière pour blanchiment d’argent dans la petite ville de Schmitten, près de Francfort, donnant ainsi une tournure judiciaire internationale à l’affaire.

La Présidente Park est la fille de l’ancien dictateur Park Chung-hee, Président à vie, qui sut élever économiquement le pays
La Présidente Park est la fille de l’ancien dictateur Park Chung-hee, Président à vie, qui sut élever économiquement le pays, mais fut impopulaire à cause de son autoritarisme. Après l’assassinat de sa mère, touchée par une balle destinée au Président, la jeune Geun-hy était devenue à vingt-deux ans la Première Dame de Corée du Sud ; et, les années effaçant le souvenir, elle avait été élue à la tête de l’État en 2012, en partie par nostalgie, trente-trois ans après l’assassinat de son père. Ce dernier avait été conseillé par le père de Choi Soon-il, Choi Tae-min, fondateur d’une Église de la vie éternelle, un religieux chamane qui dirigeait déjà la conscience de la future Présidente ébranlée par le décès tragique de sa mère. Park Geun-hy et Choi Soon-sil sont proches depuis une quarantaine d’années.

Pour calmer le peuple, la Présidente avait limogé trois ministres, dont le premier d’entre eux, fin octobre. Le 29 novembre, face aux énormes manifestations, elle avait déclaré qu’elle serait prête à partir si le Parlement l’exigeait. Une manière de gagner du temps au lieu de démissionner.

Ce vote de destitution, avec 234 voix pour sur 300, transfère les pouvoirs du chef de l’État au Premier ministre d’un gouvernement d’union nationale ou de coalition à venir. Tant que la Cour constitutionnelle n’aura pas validé la motion, Park ne pourra être poursuivie, sauf pour insurrection ou trahison. En revanche, l’enquête se poursuivra, et Park Geun-hy sera traduite en justice à la fin de son mandat. La Cour a six mois pour se prononcer.

Hans-Søren Dag


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