Le burn−out (ou épuisement professionnel) est un sujet qui fait parler. En témoigne la cacophonie médiatique qui a accompagné, à la fin du mois de mai, les déclarations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à son propos.
L’institution avait alors annoncé avoir fait évoluer la définition du burn−out dans sa classification internationale des maladies, classification conçue à des fins de recherches et de comparaisons internationales. Cette déclaration avait été interprétée à tort par certains médias comme une reconnaissance du burn−out en tant que maladie. Or, ce n’est pas le cas : le syndrome d’épuisement professionnel n’est toujours pas classé dans les « pathologies », mais dans les « phénomènes liés au travail ».
En France, le burn−out n’est pas légalement reconnu comme maladie professionnelle malgré une première réflexion en ce sens. Il s’agit néanmoins d’un indicateur de mal-être au travail important à prendre en compte, tant au niveau individuel qu’organisationnel.
Les signaux du burn−out
Les contours de ce syndrome d’épuisement professionnel restent flous, ce qui fait qu’il est difficile de mesurer l’ampleur du phénomène.
L’épuisement professionnel se caractérise généralement par trois signaux :
- l’épuisement émotionnel : la personne se sent vidée de son énergie ;
- la dépersonnalisation (ou « cynisme ») : la personne a tendance à chosifier les individus de son entourage, en particulier ceux qu’elle est censée accompagner ou aider dans son poste – patients, élèves ou usagers ;
- le non-accomplissement personnel : la personne se sent inefficace et inutile, notamment dans ses missions professionnelles.
Certains métiers sont plus particulièrement concernés par le risque de burn−out. C’est notamment le cas des métiers de l’aide et du soin, ainsi que des métiers de l’enseignement. En effet, ces professionnels sont en relation étroite avec le public. Ils doivent s’engager personnellement et s’impliquer affectivement, ce qui peut être une source de stress chronique.
Or le bien-être de ces professionnels impacte directement la qualité du service qu’ils délivrent. Prévenir le burn−out est donc un enjeu de santé publique. Mais, comment faire ?
Évaluer l’importance du soutien social au travail
Parmi les pistes possibles, plusieurs travaux récents ont mis en avant le soutien social comme puissant facteur de bien-être psychologique et physique, y compris au travail.
Dans une démarche de prévention au niveau professionnel, la difficulté est cependant de distinguer les sources du soutien social. En effet, généralement l’employeur n’a pas de contact avec la sphère privée – ce qui se passe au niveau de la famille, des amis, etc. – et ne peut qu’agir sur les leviers internes à l’organisation. Il faut ensuite s’assurer que le soutien social « au travail » a un effet propre sur le bien-être des personnels et éventuellement, explorer quel type de soutien est le plus efficace.
En nous appuyant sur les données de l’enquête nationale « Qualité de Vie des Enseignants », une étude épidémiologique ayant impliqué un échantillon représentatif d’enseignants menée par la Fondation MGEN pour la Santé Publique et l’Éducation nationale, nous avons évalué si les enseignants bénéficiant d’un haut niveau de soutien de la part de leurs collègues et de leur direction présentaient moins de symptômes de burn−out.
Il nous importait surtout d’investiguer si, à contexte privé comparable ‑ en particulier, même niveau de soutien social reçu de son entourage ‑ l’influence positive du soutien social au travail persistait.
Quelques milliers d’enseignants interrogés
En pratique, 5000 enseignants tous niveaux confondus, exerçant en France, dans le public comme dans le privé, ont été tirés au sort dans l’annuaire des personnels de l’Éducation nationale. Ces enseignants ont été destinataires d’un questionnaire détaillé s’intéressant à leur environnement de travail, leur ressenti professionnel et leur qualité de vie.
Parmi plus de 2600 réponses, nous avons évalué d’une part, les symptômes de burn−out via le questionnaire standardisé « Maslach Burnout Inventory » (qui évalue l’atteinte psychologique au travail en étudiant les conséquences du stress chronique) et d’autre part le soutien social au travail via l’échelle éponyme du questionnaire de Karasek, questionnaire bien connu des chercheurs pour évaluer les contraintes psychosociales au travail.
Nous avons par ailleurs caractérisé le contexte privé au moyen des échelles « soutien social » et « environnement » du questionnaire de qualité de vie WHOQOL-Bref développé par l’OMS.
Enfin, nous avons tenu compte d’autres facteurs pouvant être liés à la fois au soutien social au travail et au bien-être des enseignants, par exemple la taille de l’établissement d’enseignement, afin de raisonner « toutes choses égales par ailleurs ».
En effet, nous avions pu observer en amont que certaines catégories d’enseignants déclaraient, en moyenne, de plus hauts niveaux de soutien social au travail. C’était notamment le cas des jeunes, des professeurs des collèges, des enseignants du secteur privé sous contrat et de ceux des établissements scolaires de taille intermédiaire (plus de 200 élèves mais moins de 1000).
Plus fort le soutien social au travail, moindres les signes de burn−out
Grâce à des modèles statistiques, nous avons pu confirmer que les enseignants rapportant un haut niveau de soutien social au travail étaient également ceux rapportant le moins de symptomatologie de burn−out, et ce, quelle que soit les caractéristiques et situations prises en compte par ailleurs.
En particulier, le soutien social au travail était systématiquement associé à une meilleure préservation de l’accomplissement personnel. Ce lien était moins net avec la symptomatologie plus spécifique de dépersonnalisation (« cynisme »). Cette observation est intéressante puisqu’elle affaiblit l’hypothèse de causalité inverse. Selon celle-ci, c’est le burn−out qui adviendrait en premier, détériorant les relations et aboutissant à un isolement social.
En cherchant à mieux comprendre quel type de soutien au travail était le plus déterminant, nous avons pu constater l’importance décisive du soutien de la direction d’une part, et celle d’un soutien de type émotionnel, plutôt que technique, d’autre part.
Et maintenant ?
En tant qu’étude transversale, cette analyse permet d’établir une corrélation robuste entre soutien social au travail et bien-être professionnel. D’autres études doivent être conduites afin de confirmer que ce lien statistique est causal (c’est à dire que le soutien social au travail agit bel et bien efficacement contre le burn−out ; en effet, il peut arriver que deux événements soint associés statistiquement, sans pour autant avoir un rapport direct de cause à effet), et dans le sens supposé.
La mise en place d’une cohorte d’enseignants est en cours et va nous permettre d’approfondir ces résultats. Grâce à elle, nous pourrons notamment étudier la séquence temporelle des événements.
Il faudra également examiner si cette association entre soutien social et moindre symptomatologie de burn−out observée chez les enseignants se retrouve dans les autres secteurs professionnels. Pour cela, de nouvelles données dans d’autres populations de professionnels devront être mobilisées.
En attendant ces approfondissements, nos résultats contribuent à mettre en lumière l’importance du lien social, en particulier, des relations hiérarchiques de qualité et un soutien de type émotionnel. Ils plaident en faveur de la promotion du bien-être au travail.
Marie-Noël Vercambre-Jacquot, Chercheur épidémiologiste, Fondation MGEN pour la santé publique et Sofia Temam, Chercheur épidémiologiste, Fondation MGEN pour la santé publique
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.