
Les événements de Birmingham et les interpellations du militant des droits civiques touchèrent le cœur d’un pasteur jusque-là modéré.
Depuis 1963, le mois d’avril est pour beaucoup l’occasion de se replonger dans la célèbre "Lettre de la prison de Birmingham", de Martin Luther King Jr et son appel intemporel à rejeter la complaisance face à l'injustice.
Destinée non pas aux ségrégationnistes convaincus, mais aux modérés blancs bien intentionnés, la lettre de King a provoqué un choc pour les États-Unis, y compris dans de nombreuses églises. Si ses paroles nous interpellent encore aujourd'hui, elles ont à l'époque forcé beaucoup à faire face à leur propre passivité.
Parmi eux se trouvait R. B. Culbreth. Pasteur de la Metropolitan Baptist Church (aujourd'hui Capitol Hill Baptist Church) à Washington, DC, Culbreth dirigeait une communauté qui, comme de nombreuses églises baptistes du Sud, n'avait pas encore intégré de membres noirs. Pendant des années, l'église incarna cette forme de modération que King dénonçait : soutenir les droits civiques en théorie, tout en hésitant à prendre position fermement. Mais au moment où King rédigeait sa lettre, Culbreth commençait à changer de point de vue — une évolution soulignée par une lettre récemment redécouverte, écrite par Carl F. H. Henry, alors membre de l’église Metropolitan et qui fut aussi le premier rédacteur en chef du magazine Christianity Today.
Le 2 mai 1963, Culbreth, comme tant d'autres Américains, assiste, horrifié, aux images diffusées à la télévision : à Birmingham, des manifestants pacifiques sont brutalement réprimés. Les jours suivants, les journaux relaient des photos bouleversantes et les télévisions montrent sans détour les corps projetés au sol par des lances à eau et les attaques de chiens policiers. Mais pour Culbreth, il ne s'agit pas d'un simple fait d’actualité : Birmingham est sa ville natale, une ville qu’il aime profondément.
Quelques semaines avant la diffusion de ces images, King s’était directement adressé à des hommes comme Culbreth. Tandis que de nombreux responsables religieux méditaient ses mots et observaient avec inquiétude les violences qui secouaient Birmingham, un basculement s’opère chez Culbreth : jusque-là modéré blanc typique, il prend position publiquement en faveur de l’intégration.
En 1963, la Metropolitan Baptist Church, installée au centre-ville de la capitale américaine, réfléchissait déjà depuis près de dix ans à la manière de naviguer dans un paysage racial et politique en mutation. Au début des années 1950, les Noirs de Washington vivaient dans une ville presque aussi ségréguée que celles du Sud profond. Leur seul privilège par rapport à leurs homologues d'Atlanta ou de Birmingham : pouvoir s'asseoir à l'avant du bus... jusqu'à ce que celui-ci entre en Virginie.
À Washington, de nombreuses familles noires vivaient dans les tristement célèbres "allées" — des passages étroits et insalubres, cachés derrière les grandes artères de la ville. Ces habitations, à l’origine des écuries, étaient dépourvues de plomberie et de système d’assainissement. Dans les années 1950, près de 15 000 personnes en furent expulsées lors de la réhabilitation du sud-ouest de la ville, puis relogées dans le quartier d’Anacostia, au sud-est. Aujourd’hui encore, nombre de communautés noires à faibles revenus y demeurent concentrées — conséquence durable des politiques de ségrégation et de déplacement mises en œuvre à l’époque.
Après la décision historique de la Cour suprême dans le procès "Brown v. Board of Education" en 1954, qui déclara inconstitutionnelle la ségrégation dans les écoles publiques, les résistances à l’intégration s’intensifièrent. Partout dans le pays, cela entraîna la création d’un grand nombre d’écoles chrétiennes privées. Dès 1953, la Metropolitan envisagea d’ouvrir sa propre école, inspirée d’un modèle de Charleston, en Caroline du Sud, invoquant des préoccupations liées à l’évolution et à la mixité raciale. Mais après des débats animés, le conseil des diacres rejeta de peu cette proposition.
À cette époque, l'église avait lancé une école du dimanche et un lieu de culte à Anacostia, fruit du travail d'une veuve âgée, membre blanche de longue date : Anna Johenning. Cependant, le quartier, auparavant majoritairement blanc, évoluait démographiquement, et les responsables de l'église, conscients de la sensibilité des “zones racialement mixtes", appliquaient la politique baptiste du Sud : des cultes séparés. Les Afro-Américains pouvaient participer aux programmes en semaine, mais étaient encouragés à assister à un culte distinct le dimanche après-midi.
À mesure que la pression pour mettre fin à la ségrégation grandissait dans la société américaine, certains membres de l’église commencèrent à questionner les pratiques en place. En réponse, Culbreth formula la position officielle de l’église dans une lettre adressée en 1962 à Samuel Southard, professeur au Southern Baptist Theological Seminary. Il y expliquait que, bien que l’église ne compte aucun membre noir, les visiteurs afro-américains étaient accueillis sans discrimination lors des cultes du dimanche. La chapelle d’Anacostia adoptait une approche semblable : un culte mixte était proposé le matin, tandis qu’un service distinct, réservé aux Noirs, avait lieu l’après-midi. En semaine, les programmes pour enfants étaient entièrement intégrés, avec une participation estimée à 60 % d’enfants blancs et 40 % d’enfants noirs.
On ignore pourquoi les programmes pour enfants étaient intégrés, mais pas les cultes du dimanche. Culbreth affirmait que l'église ne cherchait ni l’intégration, ni le maintien actif de la ségrégation. Il reconnaissait que beaucoup de membres s'opposeraient à toute intégration formelle : "Nous ne cherchons pas à nous intégrer, mais nous ne faisons pas non plus de la ségrégation une revendication", écrivait-il. Puis vint Birmingham.
Les images brutales de chiens policiers et de canons à eau dirigés contre des manifestants pacifiques choquèrent profondément le pays. Mais pour Culbreth, ce qui a peut-être eu l’impact le plus fort, c’est la lettre ouverte de King — un message direct aux pasteurs et responsables blancs, acquis à la cause de la justice, mais encore hésitants quant aux moyens employés pour l’obtenir.
"J'en viens presque à la conclusion regrettable que le grand obstacle de l'homme noir dans sa marche vers la liberté n'est pas le membre du Ku Klux Klan ou du White Citizens' Council, mais le modéré blanc, qui est plus attaché à 'l'ordre' qu'à la justice", écrivait King le 16 avril 1963. Il interpellait ceux qui demandaient aux Noirs de "patienter", tout en restant eux-mêmes à l'abri des souffrances causées par "la maladie de la ségrégation". Il ajoutait : "Une compréhension superficielle de la part de gens de bonne volonté est plus frustrante que l’incompréhension absolue provenant de gens de mauvaise volonté."
Quelques semaines plus tard, Culbreth prononça un sermon intitulé "Les indispensables de Jésus". Il y rompit clairement avec sa position modérée, se prononçant publiquement en faveur de l'intégration et dénonçant le silence des pasteurs blancs de Birmingham — une position qu'il avait jusque-là défendue. On ignore s'il considérait ce changement comme une repentance. Mais il fut suffisamment marquant pour être remarqué.
Après le sermon, Carl F. H. Henry, alors rédacteur en chef de Christianity Today, écrivit à Culbreth pour saluer son appel à "accepter les Noirs", estimant que cela avait dû demander "beaucoup de courage".
"Et c'est à votre honneur", ajoutait-il, tout en exprimant quelques réserves sur Martin Luther King ("je ne partage pas votre enthousiasme à son sujet", écrivait-il, sans en dire plus). Henry félicitait également Culbreth pour avoir pointé "l'échec des pasteurs de Birmingham à répondre" aux manifestations pour les droits civiques.
"Je suis pleinement convaincu que nous devons nous identifier à la quête des Noirs pour les droits humains", poursuivait Henry. "La justice n'est pas simplement quelque chose que nous devons aux autres en tant que chrétiens, mais en tant qu'êtres humains ; le chrétien se sentira doublement obligé de la promouvoir. Nous devons, je pense, nous rallier à la cause des Noirs pour l'égalité des chances dans les affaires publiques, l'éducation, l'emploi, le logement et les institutions publiques."
Ce dont l’église Metropolitan avait besoin, concluait Henry, c'était d'un "engagement spirituel créatif" à un moment où se jouait le caractère même de Washington — et de la nation. L'église était-elle prête à relever le défi ? Prête à se repentir du péché de partialité et du confort du silence ?
Après le sermon de Culbreth, les membres de l'église commencèrent à changer d'attitude et amorcèrent le processus de déségrégation des cultes à Anacostia.
Les diacres de l'église affirmèrent peu après que "tous les candidats au baptême seraient traités de la même manière", rejetant toute approche à deux vitesses. En 1964, les cultes ségrégués à la chapelle faisaient partie du passé. Lorsque cette chapelle devint une église indépendante en 1966, la congrégation, désormais majoritairement noire, choisit le nom "Anna Johenning Baptist Church", en hommage à celle qui avait lancé l'œuvre.
La Metropolitan Baptist Church, renommée Capitol Hill Metropolitan Baptist Church en 1967, puis Capitol Hill Baptist Church en 1995, accueillit sa première membre afro-américaine en 1969 : Margaret Roy. La lutte pour l'intégration raciale n'était toutefois pas encore terminée. Quatre familles blanches quittèrent l'église à son arrivée. Mais malgré les tensions, Roy décida de "traiter les gens avec respect, peu importe comment ils la traitaient", se souvient-elle lors d'un entretien en 1997. Lors d'une étude biblique pour femmes, une participante lui "tourna le dos", mais cette même femme "devint plus tard une amie".
Aujourd'hui, le Temple of Praise (ancienne Anna Johenning Baptist Church) et la Capitol Hill Baptist Church, dont je suis pasteur, continuent de proclamer l'Évangile dans leurs quartiers respectifs, de part et d'autre de la rivière Anacostia. Elles ne partagent pas de lien particulier. Mais une histoire commune les unit, tout comme un même Esprit les rassemble en un seul corps. Et bien qu'un fleuve les sépare aujourd'hui, un jour, un fleuve les réunira.
Dans l'Apocalypse, l'apôtre Jean décrit les saints rassemblés autour du fleuve de l'eau de la vie, un cours d'eau limpide coulant du trône de Dieu. De chaque côté du fleuve s'étendent les branches de l'arbre de vie, dont les feuilles servent à "la guérison des nations" (22:2). Un jour, tous les saints se tiendront au bord de ce fleuve pour adorer l'Agneau. Ce jour-là (v. 4), toute blessure, tout conflit, toute injustice auront disparu — car nous verrons son visage.
Caleb Morell
Un article de Christianity Today. Traduit avec autorisation. Retrouvez tous les articles en français de Christianity Today.