Comment le vivant s’adapte dans l’espace

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Jadis, les grands explorateurs, navigateurs, conquérants de l’impossible ont parcouru des distances incroyables au travers des mers et océans, propulsés par leurs progrès techniques. Les terres inexploitées et inexplorées par la civilisation ont de ce fait « disparu » de la surface du globe.

Aujourd’hui, les astronautes s’élèvent dans l’espace et séjournent six mois en orbite de la Terre à bord de la station spatiale internationale, pratiquement libres de toute gravité. Demain, les séjours spatiaux vers la Lune ou Mars pourraient durer plusieurs années. De gros changements pour le corps humain.

En effet, les changements environnementaux dans l’espace sont très importants et modifient durablement le fonctionnement des êtres vivants qui, jusqu’alors, ont évolué lentement pour s’adapter à des modifications environnementales, comme leur milieu ou le climat. La « biologie spatiale » s’applique à comprendre les phénomènes induits par les changements de milieu de vie des explorateurs de l’espace, et un accompagnement est nécessaire pour maîtriser au mieux ses conséquences sur les organismes de nos astronautes.

Les corps sans gravité

La gravité a façonné pendant des millions d’années le monde animal et végétal. Si elle n’existait pas, nous n’aurions pas besoin d’un système cardiovasculaire aussi complexe. Par exemple, le mécanisme de protection qui nous permet de maintenir une circulation cérébrale normale lorsque nous changeons de position rapidement (position allongée à debout notamment) est lié à l’existence de la gravité. C’est l’orthostatisme. Il en est de même pour les systèmes osseux et musculaire, adaptés à la gravité terrestre, car nous passons l’essentiel de notre vie à lutter contre la pesanteur.




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L’ensemble des fonctions physiologiques est abordé en médecine spatiale. Certaines sont particulièrement importantes pour le bien-être et la performance des astronautes, car elles nécessitent une adaptation à l’environnement spatial. C’est par exemple les systèmes cardiovasculaire, musculo-squelettique, neuro-sensoriel, la nutrition, l’énergétique, la radiobiologie et la psychologie. Toutes ces recherches en biologie spatiales ont en fait des applications dans la médecine quotidienne.

La circulation du sang, au cœur des études depuis Laïka

L’absence de gravité, mais aussi le confinement et les radiations cosmiques, ont des retentissements sur la régulation cardiovasculaire.

La chienne Laïka, premier être vivant dans l’espace.
RV1864, Flickr, CC BY-NC-SA

Dès le début de la conquête spatiale, on a dû étudier si le cœur et les vaisseaux supportaient un voyage en microgravité. Ainsi, la pression artérielle et la fréquence cardiaque de la chienne Laïka ont été suivies pendant tout son vol en 1957. Ces mesures ont montré que le système cardiovasculaire peut s’adapter relativement bien et de façon paradoxale à cet environnement, car les contraintes qui lui sont imposées sont en fait plus faibles que sur la Terre.

C’est au retour sur Terre que le système cardiovasculaire se trouve désadapté à la gravité. Survient alors un syndrome de déconditionnement cardiovasculaire, provoqué par l’inactivité physique et les transferts de liquides induits par la microgravité. Le syndrome de déconditionnement, rapidement réversible après le retour sur Terre, a été décrit dès 1945 dans un autre contexte, par A. Keys, chez des patients alités de façon prolongée.

De la nécessité de la salle de muscu de l’espace

Le système musculo-squelettique nous permet de marcher et courir « contre la gravité », avec une perception spécifique du mouvement et de l’orientation. Il a été façonné par la gravité constante sur Terre (de valeur 1 g), mais il est évidemment très difficile de faire des expériences qui modifient la valeur ou la direction du champ de gravité… sauf en allant dans l’espace (ou en vol parabolique, mais l’expérience est beaucoup plus courte).

Thomas Pesquet à bord d’ISS en 2017 présente la salle de sport des astronautes, une des contre-mesures principales mises en œuvre pour lutter contre les troubles musculo-squelettiques.

Tester des individus vivant en gravité modifiée permet donc d’étudier le rôle spécifique de la gravité sur le tissu osseux en particulier. En effet, l’absence de gravité modifie sa masse, sa structure et sa résistance, et le temps nécessaire pour les récupérer est plus long que la durée de la mission.

L’exposition à la microgravité lors d’un vol spatial provoque également une désorientation spatiale, des modifications du schéma corporel et une altération des mouvements du bras et des gestes de précisions. Ces altérations sont dues à l’absence de référentiel gravitationnel fourni par les otolithes, des petits cristaux situés dans l’oreille interne, qui se déplacent quand la tête bouge et modifient ainsi les signaux proprioceptifs, mais qui dysfonctionnent en absence de gravité. Dans l’espace, les astronautes montrent une préférence pour les informations visuelles.




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Le vol spatial se traduit aussi par une réduction drastique de l’activité physique, qui peut entraîner le développement de troubles métaboliques, comme l’insulino-résistance ou les dyslipidémies. Leur rôle est de plus en plus évident dans des pathologies liées à la sédentarité au sol : obésité, diabète, hypertension artérielle, ou comme facteur de risque de psychopathologies.

Attention aux rayons cosmiques ! Quelle crème solaire pour les astronautes ?

L’exposition aux radiations ionisantes est l’une des composantes majeures du danger associé à l’exploration spatiale. Les sources de radiations sont bien définies : rayonnements solaire et galactique s’ajoutent aux rayonnements à l’intérieur du vaisseau, puisque celui-ci ne bénéficie pas de la protection de la magnétosphère terrestre. En revanche, les risques biologiques associés à une exposition prolongée à ces radiations restent difficiles à évaluer.

Les particules solaires à l’origine des aurores boréales ne sont qu’un exemple des radiations spatiales auxquelles sont soumises les astronautes.
NASA, CC BY-NC

En effet, l’exposition aux radiations spatiales pose des questions complexes d’intérêt scientifique, médical et sociétal qui sont, pour la plupart, identiques à celles posées par le radiodiagnostic. C’est notamment le cas du risque des cancers radio-induits, du phénomène de l’hypersensibilité aux faibles doses de radiation, des effets des doses répétées et de la radiosusceptibilité individuelle aux radiations, qui entraînent des transformations cellulaires.

Psychologie et socialisation : l’humain au-delà de ses mécaniques

Un voyage vers Mars devrait durer plus de 500 jours. Cette nouvelle dimension dans l’espace et le temps doit être prise en compte dans les futurs projets, en se référant au concept de « microsociétés auto-organisées ». Durant les missions interplanétaires, les équipages devront être entièrement autonomes. En particulier, le système de support-vie (recyclage de l’eau, de l’oxygène, du gaz carbonique) pourrait avoir une incidence sur les comportements au fil du temps.

De plus, les perspectives de missions interplanétaires vers la Lune ou Mars orientent les recherches vers de nouveaux facteurs psychologiques, par exemple l’isolement, le confinement et la monotonie, et de nouveaux facteurs sociologiques, comme le genre, la culture, le groupe.

Les contre-mesures, clef de la santé dans l’espace

Dès les premiers vols spatiaux, les agences spatiales internationales ont pris conscience des nombreux effets négatifs de l’environnement sur le corps des astronautes. La conquête de l’espace ne pouvait se faire sans le maintien de la santé des spationautes afin d’assurer leur survie et le succès de la mission. C’est ainsi qu’ont été mis au point des protocoles permettant de prévenir ces altérations physiologiques, que l’on appelle « contre-mesures ». Avec l’entrée des programmes martiens dans la phase exploratoire, qui va imposer des vols de deux ou trois ans, mettre au point des protocoles optimaux de maintien de la santé des astronautes devient une priorité absolue.

Les contre-mesures actuelles sont principalement des contre-mesures d’exercice physique, nutritionnelles ou pharmacologiques. Dernièrement, la vibration, la stimulation électrique, ou encore la centrifugation ont été également développées. Ces contre-mesures sont en général des traitements recommandés aux personnes sur Terre souffrant par exemple d’ostéoporose, d’insuffisance rénale, d’altérations artérielles et veineuses, de sarcopénie, ou d’insulino-résistance. Elles sont tout d’abord testées sur Terre dans des expériences d’alitement prolongé.

La sédentarité, problème de santé publique du XXIᵉ siècle dans l’espace… et sur Terre

Bien que l’espace soit un environnement unique, il existe des parallèles évidents entre les vols spatiaux, le vieillissement et l’immobilisation, mais aussi pour nous sur Terre afin de réduire les effets néfastes de l’inactivité sur la santé en général. L’OMS a depuis longtemps classé la sédentarité parmi les 10 principales causes de mortalité et d’incapacité dans le monde.

Le début du troisième millénaire verra les projets d’exploration du système solaire se multiplier. À la différence des bateaux qui parcouraient les océans avec des équipages, les nouveaux vaisseaux qui traversent l’espace interplanétaire ne sont pas, actuellement, habités par l’homme mais par des robots, ce qui rend les missions beaucoup moins contraignantes.

Guillemette Gauquelin-Koch, Responsable des Sciences de la Vie au CNES, Centre national d’études spatiales (CNES)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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