Comment la constitution de la Vᵉ République a modelé la décolonisation

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Le pardon officiel du président Macron aux harkis et l’annonce de l’adoption prochaine d’une loi de réparation marquent une étape importante dans le processus de réconciliation nationale de la France avec son passé colonial.

Le droit, et l’enseignement du droit, ont aussi leur rôle à jouer dans l’entreprise de décolonisation. En effet, une colonisation va de pair avec une domination légale, celle d’un système juridique et judiciaire pensé et appliqué pour maintenir un territoire et sa population sous le joug du colonisateur.

La domination légale se concrétise avant tout au niveau des droits personnels, comme ce fut le cas de la différence de statut entre le citoyen français de métropole et l’indigène – dépourvu de la plupart des droits civiques. Mais elle se concrétise aussi au niveau des institutions avec une organisation des relations de pouvoir entre la métropole et les colonies destinés à asseoir la domination de la première sur les secondes.

Ainsi une décolonisation est un processus de transition dite juridique. Il s’agit de débarrasser le système juridique du pays nouvellement indépendant des rapports juridiques qui le liaient à l’ancienne métropole. En France, cette transition juridique a été actée par la constitution de 1958. Si cette dernière marqua le début de la Ve République, elle fut surtout l’occasion pour les territoires d’Afrique francophone d’affirmer leur volonté d’indépendance.

Une constitution de décolonisation

Il est de bon ton, dans les facultés de droit et ailleurs, d’expliquer que la raison d’être de la constitution de 1958 repose dans l’instabilité gouvernementale de la IVe République. Cette dernière, et ses 22 gouvernements en 12 ans, était devenu dangereusement inefficace. Il fallait retrouver de la stabilité grâce à un président qui « assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État » (article 5) et un gouvernement sans la menace constance d’une motion de censure du Parlement.

Rares sont cependant les étudiants à connaître l’objectif de décolonisation attaché à la constitution de 1958. En effet, ce point n’apparaît dans aucun des ouvrages de référence. De Gaulle, dans son discours du 4 septembre 1958 était pourtant clair : il fallait une nouvelle constitution pour « qu’entre la nation française et ceux des territoires d’outre-mer qui le veulent, soit formée une Communauté, au sein de laquelle chaque territoire va devenir un État qui se gouvernera lui-même ».

Un des objectifs principaux de la constitution de 1958 était donc de finir le processus de décolonisation amorcé par la IVe République. Cette dernière, en affirmant l’égalité des peuples dans son préambule, se devait de mettre en terme à l’impérialisme français.

Les étapes

L’apport principal de la constitution de 1946 fut de transformer l’Empire Français en Union française à la suite de quoi le Cambodge et le Laos en 1953, le Vietnam en 1954, la Tunisie et le Maroc en 1956 retrouvèrent leur indépendance. En dehors de ces pays, la majorité des anciennes colonies restèrent sous le statut de territoires d’outre-mer c’est-à-dire sous une tutelle encore très forte de la métropole qui décida notamment de leurs relations extérieures ou des modalités de représentation politique (Titre VIII, constitution de 1946).

La pierre angulaire du processus de décolonisation fut le référendum du 28 septembre 1958. Si en France, celui-ci servait à approuver la Ve République, pour les territoires d’outre-mer, il représentait la première étape vers l’indépendance. Un « non » signifiait un rejet de la constitution et un accès immédiat à l’indépendance. Seule la Guinée opta pour cette option. Si les territoires votaient oui, ils pouvaient choisir entre un maintien du statu quo, une assimilation en tant que département ou une élévation au rang d’État membre de la Communauté. Comme l’ancien article 86 de la constitution le précisait, un État membre pouvait devenir indépendant et cesser d’appartenir à la Communauté.

Entre novembre et décembre 1958, tous les territoires d’outre-mer, à l’exception de la Guinée, choisirent le régime de la Communauté, après avoir voté oui au référendum. En août 1960, le Bénin, le Burkina Faso, le Chad, la Centrafrique, le Congo, la Côte d’Ivoire, le Gabon et le Niger proclamèrent leur indépendance. En juin ce fut le tour de Madagascar suivi de la Mauritanie en novembre. La procédure d’indépendance progressive prévue par la constitution de 1958 peut donc être considérée comme un succès.


Les étapes vers l’indépendance.

De l’indépendance à la dictature du parti unique

Ce fut cependant un bref succès. À l’exception de Madagascar, tous les États se dotèrent d’une nouvelle constitution quelques mois à peine après leur indépendance. Ces constitutions instaurèrent toutes un régime présidentiel fort, sur le modèle de la constitution de 1958 après l’élection au suffrage universel direct du président de la République. Elles marquèrent le début des dictatures dites du parti unique qui sclérosent l’Afrique francophone depuis 1960.


Chronologie comparative – de l’inclusion à la Communauté à l’adoption d’une constitution autoritaire.

Une adoption si coordonnée de constitutions si similaires interroge forcément sur l’influence de l’ancienne métropole.

La reproduction d’un modèle autoritaire

Entre le oui au référendum et la déclaration d’indépendance, le régime de la Communauté s’appliquait. Or ce régime était caractérisé par une concentration des pouvoirs dans les mains du président de la République, lui-même président de la Communauté (article 80). Par décision présidentielle du 9 février 1959, le français resta langue officielle, la Marseillaise demeura l’hymne des États, l’armée française pouvait y stationner. La France contrôlait de fait ces anciens territoires jusqu’à l’aune de leur indépendance.

En 1963, le professeur de droit public François Luchaire, décrivait le caractère autoritaire des pays d’Afrique francophone avec les mots suivants :

« Les États d’expression française n’ont pas eu l’impression de rompre avec l’exemple français ; bien au contraire, chacun a voulu donner à son chef d’État une autorité constitutionnelle comparable à l’autorité qui est celle du général de Gaulle en France ; parfois conseillés par des experts français, ils ont d’ailleurs utilisé les innovations contenues dans la constitution française avec les adaptations qui s’expliquent. »

Théo Fournier, Docteur en droit - Chercheur associé au centre Sorbonne Constitutions et Libertés, Sciences Po

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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