Climat : Qu’attendre du « sommet Biden » ce jeudi à Washington ?

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Dans la salve des premiers décrets présidentiels de Joe Biden a figuré celui ramenant les États-Unis dans l’accord de Paris. Avec John Kerry à la tête de la diplomatie climatique, les États-Unis disposent aujourd’hui d’une équipe aguerrie en la matière.

Son premier test grandeur nature arrive avec le Sommet des 40 leaders, convoqué par la Maison Blanche ces 22 et 23 avril, à huit mois de la COP26 de Glasgow.

Vis-à-vis de ses pairs, Biden y joue sa crédibilité, altérée par les multiples volte-face des États-Unis dans la négociation climatique : adoption du protocole de Kyoto sous Clinton (1997), abandonné par l’administration Bush (2001) ; engagements d’Obama à Copenhague (2009), rejetés l’année suivante par le Congrès ; ratification de l’accord de Paris en 2016, dénoncée par Donald Trump dès son arrivée à la Maison Blanche.

L’impact du retour américain dépendra des engagements que les États-Unis mettront dans la corbeille, de la capacité de la nouvelle administration à leur donner une véritable crédibilité et des effets d’entraînement sur le reste du monde.

John Kerry signe l’accord de Paris en compagnie de sa petite-fille. (US Department of State, 2015).

Quelle contribution mettre dans la corbeille ?

On peut compter sur le ticket Biden/Kerry pour réaffirmer l’ambition de parvenir à la neutralité climatique à l’horizon 2050. C’est désormais une formule obligée en matière de diplomatie climatique. La question cruciale concerne l’objectif intermédiaire de 2030 permettant d’y arriver.

La contribution déposée en 2015 par les États-Unis d’Obama dans le cadre de l’accord de Paris portait sur une baisse de 26-28 % des émissions de gaz à effet de serre entre 2005 et 2025.

Si l’administration Biden se contentait de cet objectif, ce serait un manque total d’ambition. Elle a déjà donné le ton en annonçant à l’amont du sommet que ses engagements internationaux seront réévalués.

Mais à quelle hauteur fixer la nouvelle marche d’escalier ?

2030 en ligne de mire

Reprenant les propositions de l’économiste Robert Keohane, qui fut conseiller énergie-climat d’Obama, une coalition de 300 chefs d’entreprise préconise de viser une baisse des émissions de 50 % entre 2005 et 2030.

Cela représenterait un effort d’ici 2030 d’un ordre de grandeur comparable à la baisse de 55 % relativement à 1990 désormais visée par l’UE (voir le graphique ci-dessous).

Graphe présentant l’ensemble des gaz à effet de serre, hors changement d’usage des sols (2019 estimé). Les États-Unis fixent leurs objectifs de réduction d’émission relativement à 2005 et l’UE relativement à 1990. Un objectif de réduction de 55 % relativement à 1990 pour l’UE représente un effort de – 51 % relativement à 2005, soit un niveau proche de l’objectif proposé par Nathaniel Keohan pour les États-Unis.
Christian de Perthuis, CC BY-NC-ND

Le premier test pour la crédibilité de Joe Biden concernera ce chiffre : si les États-Unis restent en dessous, ce serait un mauvais signal ; s’ils fixent la barre plus haut, ce serait un nouveau signal envoyé au Vieux Continent, après celui de son plan de relance qui révèle une Europe plutôt timorée au regard des milliards supplémentaires injectés dans l’économie américaine.

Accélérer l’investissement vert

Mais c’est le second test de crédibilité qui sera le plus déterminant.

Il se déroulera au Congrès par lequel doit passer Joe Biden pour faire passer l’« American Jobs Plan », son plan projetant d’investir sur huit ans plus de 2 trillions de dollars (1 trillion = 1 000 milliards), soit de l’ordre de 0,6 % du PIB.

Sur ces montants, la moitié est directement fléchée sur la transition bas carbone, avec deux objectifs prioritaires : décarboner la production d’électricité pour atteindre une fourniture zéro carbone à l’horizon 2035 ; basculer l’industrie automobile vers le tout électrique.

Bien qu’en retrait sur les promesses de campagne, ce plan injecterait dans la transition bas carbone bien plus que ce qui avait été envisagé par les précédentes administrations démocrates.

Mais le jeu va être compliqué au Sénat où les démocrates ne disposent que d’une voix d’écart. Les tractations y seront rendues compliquées par les réserves ou l’hostilité d’élus démocrates représentant des États fortement dépendants des énergies fossiles (comme le Wyoming ou le North Dakota).

Même si le plan sort à peu près intact de l’examen de passage, il risque de ne pas être suffisant pour atteindre les objectifs visés, en particulier la décarbonation du secteur électrique qui implique d’ici 2030 une baisse annuelle des émissions de l’ordre de 7 % d’après The Economist.

L’épineuse question du désinvestissement des énergies fossiles

Si le plan fournit bien une masse impressionnante d’incitations à investir dans le bas carbone, il reste timoré sur le volet le plus complexe de la transition pour un gros producteur d’énergie : le désinvestissement des énergies fossiles.

Comme l’a analysé l’économiste Robert Stavins, un compromis est plus facilement trouvé au Congrès sur des mesures de relance à base de ristournes fiscales et de subventions que sur l’instrument clef pour accélérer la sortie des fossiles : la taxation du CO2.

Le renoncement à cette mesure, pourtant présente (de façon assez floue) dans le programme de campagne est la grande faiblesse des propositions actuelles.

Une telle taxation permettrait en premier lieu de sécuriser les dépenses additionnelles pour le budget fédéral, un gage important de crédibilité : les facilités actuelles du financement monétaire et de la faiblesse des taux d’intérêt en résultant sont difficilement extrapolables à l’horizon 2030.

Surtout, le retrait des énergies fossiles pose un problème de restructuration industrielle d’une ampleur bien plus considérable qu’en Europe, pour une économie dont des pans entiers reposent sur la disponibilité d’une énergie fossile à bas prix extraite localement comme l’analysent les économistes du Trésor.

La mère de toutes les batailles

Durant sa présidence, Obama a amorcé le retrait de l’utilisation du charbon dans le secteur électrique, même si son projet de « Clean Power Plan » n’a pas pu être appliqué du fait des recours juridiques.

Malgré l’introduction de normes sur les émissions des véhicules automobiles et le blocage du projet d’extension de l’oléoduc Keystone, son administration n’a pas lancé une dynamique équivalente sur le pétrole et le gaz d’origine fossile.

La véritable crédibilité de Biden apparaîtra s’il parvient à amplifier cette sortie des énergies fossiles, en l’élargissant au pétrole et au gaz d’origine fossile. C’est la mère de toutes les batailles.

En l’absence d’une tarification carbone ambitieuse, cette bataille impliquera une multiplication de réglementations qui deviendront bien vite plus impopulaires qu’une taxe carbone correctement paramétrée et redistribuée.

Clarifier la position de la Chine

Au plan externe, les effets d’entraînement potentiels du sommet Biden concernent en premier lieu la Chine et l’UE. Les positions de l’UE étant déjà connues, c’est vers la Chine que se tourneront en priorité les regards.

À l’origine d’un peu plus du quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre, la voix de la Chine pèse lourd. Elle est devenue parfaitement inaudible.

Lors de l’Assemblée annuelle des Nations unies de septembre 2020, le Président Xi Jinping s’est prononcé pour la première fois en faveur de la neutralité climatique à l’horizon 2060. Un pas dans la bonne direction.

Simultanément, les réglementations intérieures gelant les investissements dans le charbon ont été assouplies. En 2020, pour la première fois depuis 2015, les investissements dans les nouvelles capacités d’électricité thermique ont augmenté : un pas en arrière qui pourrait remettre en cause la très forte inflexion des émissions chinoises durant la dernière décennie.

Entraîner le « Reste du monde »

Si clarifier la position de la Chine peut constituer un effet conséquent du sommet, ses capacités d’entraînement les plus importantes concernent cependant le « Reste du monde » devenu, devant la Chine, le plus gros contributeur à l’accroissement des émissions mondiales (graphique).

En 2018, les 3 premiers émetteurs de gaz à effet de serre (Chine, US et UE-28) ont représenté 47 % des rejets mondiaux de GES. Le « Reste du monde » en représente 53 %. C’est lui qui a le plus contribué à l’accroissement des émissions mondiales durant la dernière décennie.
Christian de Perthuis, CC BY-NC-ND

Au sein de ce groupe, les pays producteurs et exportateurs d’énergie fossile – comme les pays du Proche-Orient, la Russie ou encore l’Indonésie – sont ceux qui ont le plus accru leurs émissions.

Depuis la COP-1 (Berlin, 1995), ils jouent la montre en freinant ou bloquant les négociations, notamment dès que la question d’un rehaussement des objectifs vient sur la table.

Il convient de les réintégrer dans le processus, car il sera impossible de viser une cible de réchauffement inférieure à 2 °C sans une réorganisation drastique de leurs économies.

Elargir l’accès à l’énergie

Les pays moins avancés – majoritairement situés en Afrique au sud du Sahara et en Asie du Sud – pèsent encore peu dans les émissions mondiales du fait de la faiblesse des rejets par habitant. S’ils reproduisent les sentiers de croissance historiques reposant sur les énergies fossiles, ils seront demain les plus gros émetteurs mondiaux.

Pour l’éviter, il convient d’amorcer directement la transition bas carbone par un gigantesque effort d’investissement élargissant l’accès à l’énergie dont est privée une grande partie de leur population.

Il y a urgence en la matière, car ces pays sont lourdement affectés par la crise économique provoquée par la Covid-19.

Alléger la dette publique

La voie la plus noble pour accompagner le retour des États-Unis dans l’accord climatique, serait de l’assortir d’une proposition immédiate d’allègement de la dette publique de ces pays et d’y engager un programme massif d’investissements verts.

Si Biden s’engageait sur une telle voie, en y associant la Chine et l’Europe, le sommet de la Maison Blanche pourrait constituer un point d’inflexion majeur en matière d’action climatique internationale.

Christian de Perthuis, Professeur d’économie, fondateur de la chaire « Économie du climat », Université Paris Dauphine – PSL

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Crédit image : Stratos Brilakis / Shutterstock.com


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