Climat : D’ici 2050, 71% des espèces d’arbres en situation de risque à Paris, Bordeaux, Montpellier, Grenoble et Lyon
Les arbres jouent un rôle primordial en ville : en améliorant la qualité de l’air, en favorisant le bien-être des citadins, en rafraîchissant l’air ambiant par transpiration de l’eau fraîche du sol, depuis les racines vers les feuilles. Cette fonction de climatiseur naturel devient essentielle dans le contexte actuel et futur d’augmentation de la fréquence des vagues de chaleurs estivales.
Les Nations unies prévoient une croissance de la population humaine mondiale qui devrait atteindre 8,5 milliards de personnes en 2030. Sachant que plus de la moitié de la population mondiale vit dans des villes (4,2 milliards de personnes), le pouvoir rafraîchissant des forêts urbaines constitue un enjeu de taille pour contrecarrer les effets néfastes des îlots de chaleur urbains.
Mais qu’en est-il de la capacité des forêts urbaines à résister dans un contexte climatique de plus en plus chaud et sec ? Notre équipe de scientifiques, réunissant Français et Australiens, a examiné l’impact des futurs changements de température et de précipitation pour un total de 3129 espèces d’arbres et arbustes présentes dans 164 villes à travers 78 pays.
Si aucune mesure d’atténuation n’est entreprise d’ici l’horizon 2050, deux tiers des espèces d’arbres et d’arbustes pourraient être en situation de risque dans les villes du monde entier avec des conséquences désastreuses sur la qualité de vie et l’habitabilité de nos villes. Malgré ce constat inquiétant, il existe des solutions pour aider les arbres de nos villes à assurer la pérennité de leur rôle de climatiseur naturel.
La multifonctionnalité des arbres
Il ne fait aucun doute que les arbres possèdent de multiples atouts. En rafraîchissant l’air ambiant par transpiration de l’eau depuis les racines vers les feuilles, ils tamponnent les extrêmes climatiques et permettent de réduire la facture d’électricité liée au fonctionnement des climatiseurs, tout en absorbant le dioxyde de carbone émis par la circulation des véhicules. Cette purification naturelle de l’air s’accompagne aussi d’une réduction du bruit ambiant.
Les arbres constituent également le socle des espaces verts en ville, indispensables au bien-être des citadins en manque de verdure et assurant un certain confort de vie. Les urbains l’ont bien constaté pendant les périodes de confinement liées à la pandémie de Covid-19.
L’Arbre du Monde Yggdrasil (ici un frêne), et quelques-uns de ses habitants. Gravure de Friedrich Wilhelm Heine (1845-1921), extraite de Asgard and the gods (« Asgard et les dieux ») de Wilhelm Wägner.
Wikimedia, CC BY-NC-SA
Enfin, dans toutes les civilisations, l’arbre occupe une place importante : tantôt symbolique, comme l’arbre saule signifiant l’immortalité, tantôt associée à des contes et légendes, ou parfois même sacralisée ou divinatoire ; c’est le cas de Yggdrasil, l’arbre-monde souvent représenté par un frêne dans la mythologie nordique.
Une expression très concrète de ce lien fort qui unit les arbres et les hommes se reflète dans notre volonté à vouloir nommer et labelliser les plus remarquables d’entre eux en leur attribuant le statut de « monument naturel exceptionnel ».
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Pour toutes ces raisons, assurer la pérennité des arbres et des arbustes en ville, collectivement qualifiés de forêt urbaine, constitue un enjeu majeur en matière de stratégie d’atténuation et d’adaptation aux effets néfastes des dérèglements du climat.
Il existe néanmoins très peu d’informations sur la capacité des arbres et des arbustes de nos villes à supporter le stress des milieux urbains en contexte de réchauffement global des températures et d’augmentation de la fréquence des épisodes de canicules et de sécheresses.
Menace sur les forêts urbaines
Les résultats de notre étude, publiés ce lundi 19 septembre 2022 dans la revue Nature Climate Change, révèlent que des espèces aussi communes que les frênes, chênes, érables, peupliers, ormes, tilleuls, marronniers, pins et bien d’autres espèces, font partie des plus de mille espèces d’arbres et arbustes identifiées comme à risque face aux changements climatiques actuels et futurs, là où elles sont présentes dans la plupart des villes du monde.
À l’heure actuelle, entre 56 et 65 % de ces espèces sont d’ores et déjà en situation de risque, soit parce que les températures de certaines villes excédent déjà la limite supérieure tolérable par l’espèce ou bien parce que le niveau des précipitations actuelles de certaines villes est déjà en deçà de la limite inférieure tolérable par l’espèce.
Plus inquiétant : d’ici à 2050, c’est entre 68 et 76 % de ces espèces qui seront en situation de risque, avec un danger plus grand pour les villes plus proches de l’équateur, dans la zone intertropicale, là où la marge de sécurité des espèces est la plus étroite.
Lorsque les températures maximales dépassent les limites tolérables par une espèce ou que le cumul des précipitations annuelles passe en dessous du minimum vital requis, cela entraîne non seulement un affaiblissement et une baisse de croissance à l’échelle de l’individu, mais aussi une réduction de l’effet climatiseur naturel.
Sans eau dans le système, ou en cas de chaleurs excessives, l’arbre stoppe son activité photosynthétique, ne transpire plus et parfois même, pour les feuillus comme le chêne, se débarrasse de ses feuilles pour limiter les échanges avec l’atmosphère. Cela signifie qu’au moment même où nous avons le plus besoin de l’effet rafraîchissant des arbres, la climatisation tombe en panne !
Le cas des villes françaises
Dans le cadre de notre étude, nous disposions de données pour cinq villes françaises (Paris, Bordeaux, Montpellier, Grenoble, Lyon) et 506 espèces différentes d’arbres et d’arbustes, pour un total de 1254 observations.
À l’horizon 2050, 71 % des espèces d’arbres et arbustes de ces cinq villes françaises seront en situation de risque vis-à-vis de l’augmentation des températures moyennes annuelles, 69 % des espèces seront à risque vis-à-vis de la diminution du cumul des précipitations annuelles et 49 % des espèces seront à risque pour les deux phénomènes à la fois.
Dans une ville comme Montpellier, ces pourcentages atteignent 83 %, 66 % et 55 %, respectivement, et des espèces comme le frêne commun, le tilleul à petites feuilles, le tilleul à grandes feuilles, l’érable plane, le bouleau verruqueux, le peuplier tremble, l’aulne blanc ou le pin sylvestre feront alors partie des essences les plus à risques.
Cela signifie que les individus de ces espèces vont subir des conditions climatiques de plus en plus stressantes, que ce soit en termes de températures extrêmes ou de manque d’eau, qui nécessiteront la mise à disposition par les mairies de moyens financiers de plus en plus onéreux pour maintenir des conditions favorables d’alimentation en eau en cas de déficit hydrique et ainsi limiter les risques sanitaires de mortalité.
Quelles sont les mesures d’atténuations envisageables ?
Nos résultats sont globalement importants, car ils mettent à disposition des gestionnaires des espaces verts, à travers 164 villes dans le monde, des informations capitales sur les espèces d’arbres et arbustes les plus à risques et pour lesquelles un suivi sanitaire sera nécessaire à l’avenir ainsi que les espèces les plus résilientes aux changements, permettant ainsi de mieux planifier la sélection des futures essences à planter en ville.
Des sols désimperméabilisés pour une meilleure gestion des eaux de pluie (Actu-environnement, 5 octobre 2021).
Il existe quelques solutions simples pour aider les forêts urbaines à perdurer dans cette transition vers un climat plus chaud et plus sec dans la plupart des villes du monde :
- assurer un accès privilégié des racines des arbres à l’eau de pluie en diminuant les surfaces imperméabilisées et en redirigeant l’eau vers les sols plutôt que dans les caniveaux ;
- planter plus d’arbres et d’arbustes en ville en choisissant des essences résistantes au stress hydrique et si possible indigènes ou issues de zones biogéographiques voisines ;
- ne surtout pas sacrifier l’existant au profit de plus de surfaces bitumées destinées à des places de parkings, par exemple.
Jonathan Lenoir, Senior Researcher in Ecology & Biostatistics (CNRS), Université de Picardie Jules Verne (UPJV); Jaana Dielenberg, University Fellow, Charles Darwin University; Manuel Esperon-Rodriguez, Lecturer and Research Fellow, Hawkesbury Institute for the Environment, Western Sydney University; Mark G Tjoelker, Professor and Associate Director, Hawkesbury Institute for the Environment, Western Sydney University et Rachael Gallagher, Associate Professor, Hawkesbury Institute for the Environment, Western Sydney University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.