Classement PISA : ce qui se confirme et ce qui change

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Le cru 2015 de l’enquête Pisa est arrivé et, particulièrement réactif, le ministère de l’Éducation a déjà publié deux « Notes d’information » téléchargeables pour présenter les principaux résultats.

Gageons que la presse va se faire relativement discrète, vu que la stabilité domine quant aux performances des élèves français, telles qu’observées dans PISA, notamment depuis 2006. On ne pourra pas cette fois pointer la dégradation du niveau moyen ni notre dégringolade dans le classement. En effet, que ce soit en sciences (qui aura été matière phare de cette enquête 2015), en mathématiques ou en compréhension de l’écrit, nous restons, avec une moyenne stable, proche de la moyenne des pays de l’OCDE.

Le niveau en France, moyen mais homogène

Mais l’examen des trois palmarès ne mérite pas moins un détour et il décèle quelques surprises : si l’on tient compte des marges d’erreur, rien ne nous distingue, en compréhension de l’écrit, du Danemark, de la Belgique, du Royaume-Uni ou des États-Unis ; mais ce peloton des pays moyens se disloque quand on se penche sur les résultats en mathématiques : cette fois, si nous restons proches du Royaume-Uni, le Danemark et la Belgique font significativement mieux que nous tandis que les États-Unis sont un des pays les plus faibles du classement.

En sciences, le Royaume-Uni passe cette fois en tête (certes, après le groupe leader stable que sont les pays asiatiques, le Canada et la Finlande), et nous nous retrouvons, moyen, avec les États-Unis.

Ce que ces constats suggèrent, c’est que, comme le pointent les interprétations courantes, les structures éducatives (depuis l’organisation au niveau collège, jusqu’au statut des enseignants) ne font pas tout, car si tel était le cas, on devrait observer des performances plus homogènes d’une matière à l’autre.

Il faut donc plutôt invoquer ici d’autres facteurs – non pris en compte dans PISA – comme les programmes scolaires nationaux, voire l’environnement culturel (on connaît la qualité des documentaires scientifiques britanniques !). Toujours est-il que notre pays est moyen certes mais homogène, qualité en général louée sur les bulletins scolaires…

Un autre point positif est que la baisse des performances moyennes observée entre 2000 et 2003 semble bel et bien enrayée, puisque depuis 2006 c’est la stabilité qui domine.

Des écarts très marqués entre élèves

Mais il est tout aussi important d’examiner, derrière la stabilité des moyennes, la dispersion des résultats et son évolution. Et là, le constat est plus préoccupant : car en compréhension de l’écrit comme en mathématiques, on assiste à une augmentation du pourcentage élèves faibles (baisse compensée en compréhension de l’écrit par une hausse des élèves les plus forts, tandis que ce dernier chiffre est stable en mathématiques).

Globalement, nous restons l’un des pays (avec notamment la Belgique) où les écarts de performance entre élèves sont les plus marqués. Une raison importante est l’existence, dans notre pays, du redoublement : ainsi en sciences, la performance des élèves de 15 ans scolarisés en classe de seconde (qui n’ont donc jamais redoublé) est de 545, ce qui les place dans le haut du classement, tandis que celle des élèves ayant un an de retard, scolarisés en troisième, est de 407, ce qui les place à l’autre extrémité du classement…

À cette forte variabilité des performances est associée une forte influence du milieu social : la France est un des pays où celle-ci est la plus marquée, plus forte notamment qu’aux États-Unis, où les inégalités sociales sont de manière générale bien plus fortes.

La question du redoublement

Ce constat aujourd’hui maintes fois réitéré dans les enquêtes internationales interroge évidemment.

Pour l’interpréter, il est nécessaire de mobiliser ce qu’on sait par ailleurs des systèmes éducatifs et se risquer à prendre en compte avec la prudence nécessaire les corrélations livrées par les enquêtes PISA, entre l’ampleur des inégalités sociales et les caractéristiques des systèmes.

De prime abord, le système français devrait être un des moins inégalitaires, puisque comprenant nombre des caractéristiques associées le plus souvent à une égalité, scolaire et sociale, des performances. Nous avons un enseignement pré-élémentaire très développé et surtout nous avons depuis longtemps instauré un tronc commun au collège, un facteur a priori favorable, puisque les inégalités sont en général plus fortes dans les systèmes qui prévoient des filières dès l’âge de 14 ans (ou même avant).

Mais nous continuons à faire redoubler les élèves en difficultés, plus souvent de milieu social défavorisé, ce qui tire le niveau moyen vers le bas. Les inégalités entre les élèves dépendent aussi de l’importance de la ségrégation sociale et scolaire entre les établissements et en la matière, notre situation s’est dégradée avec notamment la tendance à encourager le libre choix de l’école. On observe en effet que dans les systèmes les moins inégalitaires, le choix de l’école est régulé, la décentralisation est encadrée et la part du privé est faible.

D’autres facteurs jouent sans doute également : notre système de grandes écoles – verrou de l’accès à l’élite – qui durcit la compétition dès le secondaire, des contenus de formation très académiques et une formation des enseignants peu développée (notamment la formation continue), dans un contexte où l’on méprise volontiers les questions pédagogiques, avec, non sans rapport, des relations entre maîtres et élèves bien plus mauvaises qu’ailleurs.

Chez nos voisins

Les comparaisons internationales éclairent donc les racines de cette spécificité française que sont des inégalités sociales particulièrement fortes. De plus, même si elles montrent aussi qu’il n’existe pas un « one best way », elles peuvent suggérer des pistes politiques.

À cet égard, les évolutions constatées entre les dernières enquêtes PISA (2009-2012 notamment) constituent des expériences en vraie grandeur. Ainsi, qu’a-t-on fait dans les pays où les scores moyens ont augmenté sur la période ? En Pologne, on a créé un cycle secondaire inférieur unifié (à l’instar de notre collège), à la place des anciennes filières ; au Portugal, on peut évoquer pêle-mêle la forte augmentation des ressources pour les publics défavorisés, la réduction du retard scolaire, le pilotage plus strict du système sur la base d’évaluations nationales.

A contrario, dans un pays comme la Suède dont les élèves avaient, dans les premières enquêtes, des performances élevées et égalitaires, et qui a vu ses performances se dégrader sensiblement, a été conduite une politique de décentralisation des établissements et de libéralisation, avec un système de chèques scolaires permettant aux élèves de choisir leur école ; il s’en est suivi une ségrégation accrue des établissements, dont les élèves les plus défavorisés ont payé le prix. Il semblerait donc que l’on puisse infléchir ce qui serait la « courbe des inégalités », dans un sens comme dans un autre, par des politiques éducatives.

Du côté du Canada

Mais bien sûr, d’autres facteurs peuvent être en cause. Alors qu’une fois de plus les élèves des pays asiatiques obtiennent des performances remarquables, notamment en mathématiques ou en sciences, il faut invoquer, ce qui est rarement fait, les particularités des langues comme le japonais, le coréen ou le chinois, dont le système de désignation des nombres rend plus aisée la maîtrise, très jeune, du système de numération.

On peut ajouter que dans ces pays, l’implication des mères auprès des tout jeunes enfants est très marquée et vise très tôt des acquisitions qui dans d’autres pays se feront à l’école élémentaire, la pression de parents se poursuivant toute la scolarité durant, redoublée par des cours de soutien privés quasi généralisés.

Les politiques doivent-ils donc courir après ce « modèle » asiatique ? Examiner ce qui se passe dans un pays comme le Canada (toujours bien classé) est certainement plus pertinent ; un pays où, face à des élèves d’horizon aussi varié que les nôtres, on croit bien plus que nous à la pédagogie.

Il faudrait, de plus, que les politiques assument, dans notre pays, un cap stable : alors que les politiques éducatives changent au gré des alternances politiques, on semble balancer entre quête de l’équité et quête de l’excellence – la maternelle et l’éducation prioritaire, versus les Grandes écoles et le latin –, comme s’il fallait choisir, alors qu’un des enseignements de l’enquête PISA, c’est, non seulement que la stabilité « paye » mais qu’il n’y a pas d’arbitrage : les pays dont les élèves sont les meilleurs sont aussi ceux qui réduisent le plus les inégalités.The Conversation

Marie Duru-Bellat, Professeure des universités émérite en sociologie, Observatoire sociologique du changement, Sciences Po – USPC

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.


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