Cinquième centenaire de la Réforme : Les grands principes / Partie III : Solus Christus

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Le troisième principe est le SOLUS CHRISTUS. Le Christ est « l’unique médiateur » entre l’homme et Dieu, comme l’affirme Paul, car « il n’y a qu’un seul médiateur entre l’homme et Dieu, Jésus-Christ » (I Timothée, 2, 5-6). Et cette médiation est assurément liée à la double nature, à la fois humaine et divine, du Christ, « vrai homme et vrai Dieu ». Pour cette raison, les protestants refusent l’idée que l’on puisse avoir recours à une autre « médiation » ou à une autre « intercession » que celle du Christ, par exemple en passant par Marie ou les saints, quand bien même ceux-ci serviraient seulement d’intermédiaire entre nous et Jésus.

Pour justifier cette « exclusivité » de la médiation du Christ, il faut observer que l’épître aux Hébreux ne mentionne pas d’autre intercession céleste possible que celle du Christ : lui seul, en effet, « peut sauver parfaitement ceux qui s’approchent de Dieu à travers lui, puisqu’il est toujours vivant pour intercéder en leur faveur » (Hébreux 7, 25). Il est certes possible d’intercéder sur terre les uns pour les autres, et les chrétiens, qui forment ensemble un seul corps, l’Eglise, ne se privent pas de prier les uns pour les autres. C’est ce qu’on appelle la « communion des saints », étant entendu que tous les chrétiens qui ont reçu le Saint-Esprit peuvent se considérer comme « saints » : la Bible ne fait pas de « distinguo » entre des personnes qui seraient plus ou moins « saintes » (comme le montre Philippiens 1, 1), mais elle encourage plutôt chaque croyant à progresser dans la sanctification. Ainsi, la « communion des saints » ne désigne pas, pour les protestants, une « alliance » mystérieuse entre les vivants ici bas et ceux qui sont au ciel (c’est le sens catholique de la communion des saints, sens qui suppose des intercesseurs au ciel à côté de Jésus), mais elle désigne seulement la communion de tous les vivants sur terre, qui peuvent intercéder les uns pour les autres au nom de Jésus, qui intercède lui-même au Ciel auprès du Père puisqu’il s’est assis à la droite du Père suite à son ascension.

Il est vrai que Marie et ceux que l’Eglise catholique appelle « saints » sont souvent des modèles de foi, des « exemples » à suivre, qui doivent nous édifier, nous inciter à la persévérance dans la foi, et nous encourager dans notre vie chrétienne. Nul ne contestera que les croyants ont besoin de « modèles ». Mais passer par leur intercession, voire leur « rendre un culte » (on parle bien d’un « culte marial » et d’un « culte des saints ») ne peut qu’outrepasser l’interdiction que le Christ rappelle à Satan, lors de la tentation dans le désert :

« Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et à lui seul tu rendras un culte »
Matthieu 4, 10

Les distinctions souvent subtiles faites par les catholiques entre le culte de « latrie », de « dulie » et « d’hyperdulie », peuvent alors apparaître, aux yeux des réformateurs, comme un moyen, peut être, de « contourner » cette parole du Christ, pourtant suffisamment claire par elle-même. Il est d’ailleurs intéressant d’observer que, suite aux « miracles » accomplis par Paul et Barnabas à Lystres, Paul, voyant que la foule était tentée de leur faire des offrandes sacrificielles comme à des dieux, voire à leur rendre un culte, s’exclame :

«Malheureux, que faites-vous là ? Nous sommes des hommes au même titre que vous ! Tournez-vous plutôt vers le Dieu qui a créé le Ciel et la Terre, la Mer et tout ce qui s’y trouve.»
Actes 14, 15

Les réformateurs, il est bon de le rappeler, ont certes toujours eu une profonde admiration pour la foi de Marie

Certains protestants évangéliques voient notamment dans le « culte marial » le déguisement et la résurgence, sous une « apparence chrétienne », d’un culte en réalité babylonien, celui de la « Reine du Ciel » (Astarté), dont le prophète Jérémie pensait qu’il attire la colère de Dieu (Jérémie 44). Que la vierge Marie aie été proclamée Theotokos (Mère de Dieu) à Ephèse, où était vénérée la grande déesse Artémis, pourrait accréditer la thèse selon laquelle le culte marial serait né d’un contact avec les religions païennes, mais il ne s’agit là, précisons-le, que de spéculations, même si le culte des vierges noires n’est peut être pas sans rapport avec le culte d’Isis, si l’on en croit certaines sources historiques. Les réformateurs, il est bon de le rappeler, ont certes toujours eu une profonde admiration pour la foi de Marie, qui est assurément l’une des plus grandes figures de l’Écriture sainte. En outre, le Fiat de Marie donne l’exemple suprême de ce qu’est la liberté chrétienne : une liberté qui ne se conçoit que dans un total consentement à la volonté de Dieu, et non dans un affranchissement à l’égard de la loi de Dieu, comme c’est le cas de la liberté dévoyée des modernes, qui est une pseudo ou une fausse liberté.

Mais si les protestants croient à la conception virginale du Christ, la plupart d’entre eux ne croient plus aujourd’hui à la virginité perpétuelle de MarieMais si les protestants croient à la conception virginale du Christ, la plupart d’entre eux ne croient plus aujourd’hui à la virginité perpétuelle de Marie (contrairement aux Pères de la Réforme, qui en étaient encore persuadés), à cause des « frères de Jésus », dont parle l’Ecriture à de multiples reprises – cf. Matthieu 12, 45-50 ; 13, 55-56 ; Marc 6, 3 ; Jean 7, 4-5. Cette question est certes difficile, car si le terme grec adelphos (littéralement : « issus d’une même matrice ») désigne prioritairement des frères de sang, il peut parfois, exceptionnellement, être étendu à la proche parenté. Reste que le verset de Matthieu 1, 25 (« et Joseph ne connut point Marie jusqu’à ce qu’elle enfanta un fils ») et celui de Luc 2, 7 (qui parle de Jésus comme le « Fils premier-né » de Marie) font clairement pencher la balance dans le sens d’une non-virginité perpétuelle. Il est vrai qu’une autre Marie (la femme de Clopas, proche parente de Marie, mère de Jésus) avait aussi, si l’on en croit Matthieu, 27, 56, deux fils du même nom que deux de ceux qui sont désignés comme étant les « frères » de Jésus (Jacques et Joseph). Cela pourrait accréditer la thèse, catholique, selon laquelle les frères de Jésus seraient en fait des « cousins ». Pourtant, il existe un terme grec (anepsios) pour désigner les « cousins », terme employé par exemple pour la relation qui unit Marie et Elisabeth, sa cousine. Il est dès lors regrettable, si les frères de Jésus sont seulement ses « cousins », que les évangélistes ne l’aient pas employé, sauf si les « frères » de Jésus sont en fait les fils d’un premier mariage de Joseph, qui aurait été veuf avant d’épouser Marie, ce qui est aussi une « explication » que l’on trouve parfois dans la Tradition catholique, mais qui impliquerait que Jésus n’aurait alors aucun lien de parenté avec ses « frères », vu que Joseph n’est pas son concepteur. Toujours est-il que les protestants ne croient pas que Marie puisse intercéder pour nous, et s’appuyant sur les paroles du Christ lui-même (Luc 11, 27-28), qui reprend la femme tentée de béatifier excessivement Marie pour recentrer cette béatification sur ceux qui écoutent la Parole de Dieu, ils nous invitent à nous défier d’une dévotion mariale excessive. Le « Solus Christus » signifie bien que le Fils unique seul peut faire l’objet d’un culte d’adoration, ce qui est d’ailleurs une nouvelle preuve flagrante de sa divinité, comme on le voit en Apocalypse 5, où les vieillards et les anciens se prosternent devant l’agneau (figure du Christ) pour l’adorer (Apocalypse, 5, 8-14).

Charles-Eric de Saint Germain, enseignant en classes préparatoires, est auteur, entre autres, de Un évangélique parle aux catholiques » (F-X. De Guibert, 2008),  Cours particuliers de Philosophie », I et II, (Ellipses), « La défaite de la raison » (Salvator, 2015), « Ecrits philosophico-théologiques sur le christianisme » (Excelsis, 2016).


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