
En Égypte, le monastère orthodoxe de Sainte-Catherine, le plus ancien des couvents chrétiens habités en continu, cristallise les inquiétudes d'Athènes et des religieux orthodoxes après une décision de la justice égyptienne affirmant que ses terres relèvent du domaine public.
Une délégation gouvernementale grecque est attendue mercredi au Caire pour discuter de ce site lové au pied du mont Sinaï et classé au patrimoine mondial de l'Unesco.
Un site ancien
Le monastère a été fondé par l'empereur byzantin Justinien au VIe siècle, sur le site du buisson ardent au pied du mont où, selon l'Ancien Testament, Moïse reçut les Tables de la Loi.
Il est dirigé par l'archevêque du Mont Sinaï et de Raithu, sous la juridiction ecclésiastique du patriarcat grec orthodoxe de Jérusalem.
Ce site d'architecture byzantine doit son nom à Sainte-Catherine d'Alexandrie et conserve ses reliques. Il abrite aussi des icônes et des manuscrits chrétiens anciens.
Selon l'Unesco, "toute la zone est sacrée pour les trois religions monothéistes : l’islam, le christianisme et le judaïsme". L'organisation internationale décrit le monastère comme "propriété de l'Église grecque orthodoxe".
Litige de propriété
La semaine dernière, une cour d'appel égyptienne a statué que le monastère avait "le droit d'utiliser" le terrain mais que celui-ci "appartient à l'État en tant que propriété publique".
Le jugement, qui n'a pas encore été publié dans son intégralité, a soulevé les critiques des patriarcats orthodoxes d'Athènes, Jérusalem et d'Istanbul.
Selon l'archevêque Ieronymos, le chef de l'Église orthodoxe grecque à Athènes, les biens du monastère pourraient ainsi "être saisis et confisqués".
Le pouvoir égyptien estime au contraire que le jugement "consolide" son statut sacré.
Le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, a assuré que l'Égypte était "pleinement engagée à préserver le statut religieux unique et sacré du monastère", vendredi dernier dans un entretien téléphonique avec le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis.
Ce dernier a pour sa part souligné l'importance de "préserver le pèlerinage et le caractère grec orthodoxe du monastère" en appelant à un accord entre les deux pays.
La délégation grecque attendue au Caire compte présenter un document de l'Unesco prouvant que l'Égypte a reconnu par écrit que les terres et le bâtiment étaient la propriété de l'Église orthodoxe grecque et de l'archidiocèse du Sinaï, selon l'agence de presse nationale grecque.
Méga-projet
Lancé en 2021, un méga projet immobilier baptisé "Grande Transfiguration" de Sainte-Catherine, a été mené à 90 %. Il prévoit 14 projets de construction sur des milliers de m2, dont un millier de chalets, cinq hôtels, un écolodge de 200 chambres et un quartier résidentiel. Objectif : accueillir jusqu'à un million de touristes par an.
Selon le rapport 2024 de l'ONG World Heritage Watch (WHW), ce projet a "détruit l'intégrité de ce paysage historique et biblique".
L'Unesco a demandé en 2023 que le développement soit "suspendu", et son impact évalué "en ligne avec les principes de protection des patrimoines mondiaux" en demandant à l'Égypte d'"élaborer un plan de conservation et un plan de gestion des visiteurs". Le Caire, qui espère voir son ancien ministre du Tourisme et des Antiquités Khaled el-Enany prendre la tête de l'Unesco en octobre prochain, affirme respecter ces principes.
Pèlerinage
Les montagnes et vallées qui entourent le monastère, attirent des foules de marcheurs - jusqu'à 2000 en une seule journée en décembre 2024 sur le mont Sinaï, selon les autorités locales.
La région est très prisée par les touristes locaux et étrangers fuyant les stations balnéaires surpeuplées de la mer Rouge, dans le sud du Sinaï.
Tribu bédouine
La région abrite la tribu bédouine des Jabaliya -- un nom issu du mot arabe Jabal (montagne).
Les descendants supposés de soldats romains venus garder le site entretiennent des liens historiques avec Saint-Catherine et travaillent aujourd'hui comme guides touristiques pour les randonneurs.
La tribu réclame depuis longtemps de meilleures infrastructures pour améliorer sa vie quotidienne - approvisionnement en eau, services d'urgence, réseau téléphonique... Actuellement, les ouvriers recrutés pour le méga projet dépassent en nombre la tribu bédouine, selon le rapport de WHW.
La Rédaction (avec AFP)