La Fête de la Musique a lieu à travers le monde le 21 juin. Jack Lang, ministre de la Culture, l’a instituée en France en 1982. Au cours des années suivantes, elle s’est progressivement internationalisée, au point d’être aujourd’hui reprise dans 110 pays, sur les cinq continents.
En Chine, l’ambassade de France a commencé à organiser ponctuellement des événements le 21 juin dès 1992. La fête sera célébrée régulièrement d’abord dans la ville de Wuhan en 2007, puis à Shanghai quelques années plus tard. À Pékin, c’est une association de volontaires qui, chaque année, se charge de coordonner tous les événements tenus dans ce cadre. La Fête se déroule en ce moment en Chine, du 27 mai au 30 juin : plus de 150 concerts de musiques diverses y seront donnés au total. Dont une bonne partie de musique classique.
Il existe en Chine 73 orchestres professionnels de musique classique et 50 millions d’enfants chinois apprennent le piano. Chose étonnante, les salles chinoises ont un problème diamétralement opposé aux salles occidentales : si ces dernières cherchent à tout prix le moyen de rajeunir leur public, la Chine, elle, cherche à le vieillir. Au Shanghai Oriental Arts Center, l’âge moyen du public est de 30 ans. En France, le spectateur type a 61 ans : un écart significatif. Mais la Chine revient de loin. La musique y a souvent joué un rôle politique.
Musique et politique d’après Confucius
Le lien est déjà établi par Confucius.
Ses disciples écrivent :
« La première note de la gamme, c’est le souverain ; la deuxième note, ce sont les ministres ; la troisième note, c’est le peuple. Faire que l’ordre social ne connaisse pas d’infortune, telle est l’essence de la musique. Aussi, les anciens souverains ont institué la musique parce qu’elle était un moyen de gouverner. Quand elle était bonne, les conduites humaines étaient vertueuses. »
Ces idées donnèrent lieu à une organisation administrative : l’empereur des Zhou forme La dynastie Zhou dure de 1046 av. J.-C. à 256 av. J.-C.) un ministère de la Musique qui comprend 1 463 fonctionnaires. Sous les Han, la dynastie Han commence en 206 av. J.-C.) cet organisme renommé Bureau de la musique, Yuefu, réalise ce qu’on pourrait appeler des sondages : souvent déguisés, les fonctionnaires invitent les gens à chanter. Ils apprennent ainsi ce que ceux-ci pensent de la politique de l’Empereur et de la manière dont l’administration l’applique.
L’expression « présentation des chansons et rumeurs » devient la formule désignant un « rapport administratif ». Le potentat local corrompu est puni. La musique est devenue un élément de la procédure judiciaire.
L’ethnomusicologie au service de la politique
Au XXe siècle, la politique musicale s’insère dans le cadre général du réalisme socialiste. Mao fut en cela un précurseur. Dés 1942, dans la première base communiste de Yenan, il en donne les bases :
« Nous devons recueillir le riche héritage et maintenir les meilleures traditions de la littérature et de l’art chinois et étranger, mais pour les mettre au service des masses populaires. Puisant leurs éléments dans la vie réelle, la littérature et l’art révolutionnaires doivent créer les figures les plus variées et aider les masses à faire avancer l’histoire. […] Le peuple lui aussi a ses défauts. Dans les rangs du prolétariat, beaucoup de gens ont conservé l’idéologie de la petite bourgeoisie, et chez les paysans comme dans la petite bourgeoisie urbaine se rencontrent des idées rétrogrades. […] Nous cherchons à les éduquer, les aider à se débarrasser de ce fardeau. […] Notre littérature et notre art doivent décrire le processus de cette rééducation. […] Nos écrivains et nos artistes ont pour tâche leur propre travail de création, mais leur premier devoir est de comprendre les gens. […] Une chose n’est bonne que si elle est réellement utile aux masses. »
Soit dit en passant, on retrouve en 1948 ces idées chez Jdanov, l’acolyte de Staline en charge des arts :
« Une tendance dangereuse exprime un formalisme étranger à l’art soviétique, le rejet de l’héritage classique sous le couvert d’un faux effort vers la nouveauté, le rejet du caractère populaire de la musique, le refus de servir le peuple, cela au bénéfice des émotions étroitement individuelles d’un petit groupe d’esthètes élus. »
Arrivé au pouvoir, Mao lance, au début des années 1950, un vaste programme ethnographique. Il s’agit de recenser les différentes ethnies vivant en RPC. Des musiciens et des musicologues sont alors envoyés pour collecter les traditions musicales. L’objectif est politique et rappelle le rôle du Bureau sous l’Empire. La Chine est un État pluriethnique qui doit devenir unitaire. Les musicologues composent de nouveaux morceaux intitulés Chansons chinoises, qui amalgament les diverses traditions musicales en suivant une ligne qui reflète la politique du Parti.
On peut ainsi trouver quantité de vieilles chansons dont les paroles « rénovées » vilipendent les propriétaires fonciers ou glorifient le Parti communiste chinois.
Le désastre de la Révolution culturelle
La période de la Révolution culturelle est une époque de fermeture. Les pianistes suspects ont les doigts mutilés par les Gardes Rruges. Jiang Qing, l’épouse de Mao Zedong et l’une des responsables les plus extrémistes de la Révolution culturelle, a fait symboliquement briser tous les pianos à queue du pays. En 1964 est proclamée l’interdiction progressive de la musique occidentale au profit des yangbaxi, les œuvres modèles composées sous l’égide de Jiang Qing. Au nombre de huit, elles vont devenir les seules œuvres musicales autorisées à être jouées en Chine. Les plus connues sont Le concerto du fleuve jaune, La lanterne rouge, Le détachement féminin rouge.
On pouvait lire dans le Petit livre rouge de Mao Zedong :
« Les opéras de modèle révolutionnaire reflètent depuis un demi-siècle la vie depuis la prise du pouvoir par la lutte armée du prolétariat et des masses sous la direction du Parti communiste chinois. »
L’ouverture
Après la mort de Mao en 1976, la Chine s’ouvre : on peut de nouveau jouer les compositeurs classiques européens.
Dans le même temps, l’apparition du rock chinois montre qu’une symbiose est possible entre musiques occidentale et chinoise. Le rocker le plus connu est Cui Jian. Dans ses souvenirs, Claude Martin, ambassadeur de France à Pékin de 1990 à 1993 en parle ainsi :
« Ancien élève du Conservatoire de musique classique, il avait, à la fin des années 1980, étudié les rythmes venus d’Occident et constitué un petit groupe de rock. On commençait à chanter, en 1991, dans les cafés et dans les premières boîtes de nuit de Pékin, des musiques rock collées sur des citations de Mao. Cui Jian avait été parmi les premiers à utiliser ainsi des textes politiques, et à les détourner. »
Aujourd’hui, suivant la politique du Rêve chinois promue par Xi Jinping, les dirigeants doivent parvenir à concilier l’idéologie nationaliste, mettant en valeur le passé, et la mondialisation culturelle nécessaire à la bonne santé financière du pays. Le mot d’ordre, qui est aussi un pari, est de continuer à chercher dans l’Occident ce qu’il a de meilleur sans s’y asservir.
Norbert Rouland, Professeur de droit. Ancien membre de l’Institut universitaire de France (Chaire anthropologie juridique), professeur émérite, Aix-Marseille Université (AMU)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.
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