Antonio Lara, 25 ans, marche avec sa femme et ses 2 bébés avec les autres migrants. Il n’a « pas quitté son pays parce qu[‘il] le voulai[t] », mais parce qu[‘il ] devait[t] le faire. »
Partie du Honduras le 12 octobre, une caravane de 4000 migrants marche vers les États-Unis. Des migrants du Salavador et du Guatemala l’ont rejointe. Une deuxième caravane de 2000 migrants suit le même parcours. 6000 personnes ont désormais franchi les frontières mexicaines. 6000 hommes, femmes, enfants, parfois des mineurs non-accompagnés, cherchent à atteindre la frontière américaine, à pied, en voiture, en camion, voire à la nage. Ils dorment dans des abris de fortune, aidés par des associations. Des populations locales laissent à leur disposition sur les routes des chaussures, des sandwichs.
Ils sont partis ensemble, sous l’impulsion d’un ancien législateur hondurien, Bartolo Fuentes.
« C’est une bataille entre le gouvernement et ceux qui veulent se battre, pour la vérité et pour un monde meilleur dans lequel les gens pourront vivre. »
Il a été arrêté à son arrivée au Guatemala, mais la caravane avait pu continuer son exode. Yareli Guillen, jeune chrétienne de 19 ans expliquait :
« Voyager en groupe est moins cher et plus sûr. Tout est entre les mains de Dieu. Si cela ne fonctionne pas, je retournerai là où je suis maintenant. »
Mais que fuient-ils ? Pourquoi quitter le Honduras ?
Fuir la violence des gangs
Les migrants sont partis de San Pedro Sula, la ville qui a le taux d’homicide le plus élevé au monde, en dehors des zones de guerre. L’Amérique latine compte 8% de la population mondiale, mais elle représente 42% de tous les homicides du monde. C’est la région la plus meurtrière du monde.
Le Honduras, fait partie du « Triangle du Nord », le centre de la criminalité organisée centre-américaine. Point de fixation du narcotrafic continental. Au sein d’un système politique défectueux, corrompu et fragilisé par le coup d’état de 2009, les maras, gangs ultra-violents règnent sur ce trafic de stupéfiants. De nombreux membres des maras sont d’anciens détenus des prisons américaines, expulsés suite à la politique de tolérance zéro à leur égard.
Miranza Carranza a quitté le Honduras parce qu’elle n’était pas en mesure de payer « l’impôt de guerre » exigé par les maras.
« Ils ont dit qu’ils tueraient l’une de mes filles si nous ne payons pas. [...] Le Honduras n’est tout simplement pas un pays où vous pouvez vivre en paix. »
Dans leurs derniers rapports, les Nations-Unies se disent préoccupées par « le nombre toujours extrêmement élevé d’homicides, d’agressions physiques et d’atteintes à la propriété et de cas d’enfants recrutés par des gangs ou « maras » pour participer à des activités criminelles, ainsi que par l’impunité quasi totale de ces crimes. » Il y est question de « nettoyage social », d' »exécutions extra-judiciaires impliquant les forces de sécurité », de « tortures », de « mauvais traitements », de « formes modernes de l’esclavage » et d' »exploitation sexuelle des enfants ».
Gustavo Irias, du Centre d’Études sur la Démocratie, pointe l’impunité de tels actes :
« Il n’y a aucune institutionnalité ici, la police et les enquêteurs sont inutiles. Et l’impunité génère une nouvelle violence. »
Un travailleur des pompes funèbres de San Pedro Sula raconte les corps démembrés, décapités qui arrivent chez lui :
« Satan lui-même vit ici à San Pedro. [...] Les gens ici tuent comme si les gens n’étaient que des poules. »
Fuir l’extrême pauvreté
63,8% de la population hondurienne est pauvre. Le Honduras est le 27ème pays le plus pauvre du monde.
Dans la caravane, un cueilleur de café, David Hernandez, explique que l’argent donné par les États-Unis au Honduras a été dépensé par les politiciens. Il raconte la hausse des impôts, la baisse des salaires. La monnaie locale chute. Le pays est en proie à une crise économique importante.
Luz Abigaïl a 34 ans. Elle marche au milieu des autres migrants avec son fils de 1 an. Elle n’est plus en mesure de le nourrir.
« C’est tellement difficile d’entendre mon garçon dire ‘Maman, j’ai faim’ et de savoir que je peux seulement lui acheter une brique de jus de fruits. »
Mario David a 12 ans. Il est parti sans ses parents avec la caravane. Il veut rejoindre les États-Unis pour pouvoir aller à l’école et trouver un travail. Il parle lui aussi de l’emprise des gangs qui lui volent le peu d’argent qui lui reste.
Une étude met en exergue le lien entre migration et insécurité alimentaire.
« Il y a un lien évident entre l’insécurité alimentaire et l’émigration à partir de ces 3 pays. [...] Presque la moitié des familles interviewées pendant cette étude sont dans l’insécurité alimentaire, 47%. [...] Ces niveaux d’insécurité alimentaire n’avaient pas été vues dans cette région auparavant. »
Jari Dixon, membre du Congrès Hondurien, parle de fuite :
« Ils ne recherchent pas le rêve américain, ils fuient le cauchemar hondurien. »
Fuir l’emprise du changement climatique
Autre cause insoupçonnée de cet exil : le changement climatique. Précipitations tardives, irrégulières et parfois catastrophiques, ou sécheresse provoquée par El Nino, ces phénomènes annihilent les récoltes.
Robert Albro, chercheur au Centre d’Études sur l’Amérique Latine à l’Université, explique :
« La principale raison pour laquelle les gens déménagent est parce qu’ils n’ont rien à manger. Cela a un lien étroit avec le changement climatique. Nous assistons à une énorme instabilité climatique qui modifie radicalement la sécurité alimentaire de la région. »
Jesus Canan est dans la caravane de migrants avec sa femme et ses 3 enfants. Il évoque les 2 années de sécheresse. Son champ de maïs n’a rien produit. Tout ce qu’il a dépensé pour son champ a été réduit à néant. Pas de récolte. Pas de bénéfice. Il s’est résolu à partir lui aussi.
Michael Doyle, spécialiste des relations internationales à l’Université de Columbia, rappelle une réalité simple :
« Si ta ferme souffre de la sécheresse, ou si ta maison a été inondée et que tu t’enfuies pour sauver ta vie, tu n’es pas très différent d’un autre réfugié. »
Donald Trump a décidé que les frontières américaines leur seraient fermées. Il a envoyé l’armée pour s’en assurer. L’ambassadeur américain au Guatemala appelle les migrants à retourner chez eux. Mais les migrants sont déterminés. Et à l’image d’Aica Acevedo, 26 ans, ils s’en remettent à Dieu :
« C’est Dieu qui décidera si nous le ferons. Trump n’a pas ce pouvoir. »
La rédaction