Avec la réalité virtuelle, la deuxième vie de Notre-Dame de Paris

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Pour célébrer 2021, la ville de Paris propose un concert multimédia conçu et mis en scène par Jean‑Michel Jarre dans une réplique numérique de la Cathédrale Notre-Dame de Paris.

Pour ce show intitulé « Bienvenue ailleurs », placé sous le patronage de l’Unesco, la légende de la musique électronique et son avatar évoluent dans une scénographie inventive. La société VRrOOm a mis en œuvre de nombreuses innovations technologiques pour que des milliers de spectateurs puissent assister simultanément au concert diffusé en « live », l’artiste se produisant depuis le studio Gabriel, son image étant mêlée aux images virtuelles de la cathédrale, avec son avatar « sur place ».

Retransmis en direct via plusieurs réseaux sociaux pour le passage à la nouvelle année, le show est désormais accessible sur YouTube et sur VRChat. Grâce à un casque de réalité virtuelle, il est possible d’assister à un spectacle son et lumière à 360 degrés avec des effets spéciaux qui donnent vie à une modélisation de Notre-Dame à la fois réaliste et futuriste. Les vitraux, les colonnes, les rosaces, les arcs, les voûtes, la façade, et les différents espaces sont mis en valeur dans une chorégraphie architecturale de matières, de formes, de textures et de couleurs.

Les cathédrales ont toujours été des lieux d’expérimentation et d’innovation technologique. Cela continue avec le numérique qui est utilisé pour la préservation des monuments et la médiation culturelle avec une dimension à la fois éducative, ludique, sociale et créative. Le visiteur devient acteur de sa propre visite et peut interagir de manière naturelle avec les autres visiteurs et avec le lieu qu’il visite en réalisant des quêtes ou en relevant des défis.

Le numérique essentiel dans la restauration de Notre-Dame

Le CNRS coordonne la restauration de Notre-Dame de Paris, ce qui donne lieu à de nombreux projets scientifiques. Le désastre causé par l’incendie de la cathédrale permet aux chercheurs d’observer et d’étudier des éléments jusqu’alors inaccessibles. L’association des Scientifiques au Service de la Restauration de Notre-Dame de Paris créée dès le lendemain de l’accident, rassemble les chercheurs qui souhaitent mettre leurs connaissances et leurs compétences à profit dans ce projet titanesque. Ils conseillent les autorités, contribuent aux programmes de recherche du CNRS, communiquent dans les médias et documentent les actions menées.

Le CNRS s’appuie sur l’expertise de l’entreprise française Art Graphique & Patrimoine (AGP) qui avait déjà modélisé en 3D le toit et les poutres pour les travaux prévus dans la cathédrale avant l’incendie. AGP a commencé à créer une nouvelle modélisation complète cinq jours après la catastrophe. Les mesures de l’intérieur de la cathédrale ont été prises avant qu’elle ne soit encombrée d’échafaudages. Cette démarche urgente a nécessité plusieurs techniciens à l’intérieur du bâtiment 24 heures sur 24.

Cependant, suite à l’incendie, les autorités ont constaté une contamination de l’air et du sol par le plomb contenu dans la flèche de la cathédrale. Les techniciens ont donc dû prendre beaucoup de précautions et les travaux sur le chantier ont été très ralentis. Des drones ont été utilisés pour la modélisation des parties supérieures et du toit du bâtiment. Le nouveau modèle numérique intégral sera comparé avec les modèles partiels réalisés entre 1995 et 2016.

Les travaux du scientifique américain Andrew Tallon, ancien professeur d’art et d’architecture médiévale qui a mesuré plus d’un milliard de points à Notre-Dame avant son décès en 2018, seront également utilisés. C’est lui qui a convaincu le Vassar Institute de l’Université de New York de financer une numérisation complète des voûtes de Notre-Dame par Art Graphique & Patrimoine.

Une visite numérique différente et complémentaire

L’accès à une copie virtuelle de la cathédrale permet de vivre une expérience qui présente de nombreux intérêts. En effet, la fermeture prolongée de la cathédrale est très frustrante pour ceux qui y sont attachés pour des raisons personnelles, religieuses, culturelles, historiques ou scientifiques. La réalité virtuelle immersive permet donc de rester connecté à ce lieu iconique et à sa puissance symbolique. C’est aussi un moyen de faire visiter Notre-Dame aux adultes et aux enfants du monde entier qui la connaissent par les livres, les films et les dessins animés et qui ne pourront pas visiter la vraie pendant des années.

D’autres n’auront jamais accès à ce patrimoine mondial faute de ressources. Alors s’ils ne peuvent pas venir à Notre-Dame, Notre-Dame peut aller vers eux grâce à Internet. Partout dans le monde, une visite virtuelle peut s’accompagner d’éléments culturels, éducatifs et ludiques destinés à mieux faire connaître la cathédrale au public.

Chaque visiteur virtuel pourra ainsi établir une connexion personnelle avec le monument à travers sa réplique virtuelle. Il pourra même visiter certaines parties qui ne sont pas accessibles dans la réalité, voir avec beaucoup plus de précision certains détails, et bénéficier de conditions exceptionnelles de visite, seul dans le monument, avec une luminosité parfaite, et la possibilité de s’approcher aussi prêt qu’il le souhaite de chaque élément. Il pourra flotter dans les airs et voir à quelques centimètres les vitraux, les grands Mays ou les gargouilles.

Si le CNRS utilise la modélisation de la cathédrale dans un but scientifique pour sa restauration, sa préservation et sa compréhension, d’autres usages peuvent également être proposés. La société FlyView propose déjà de se téléporter dans la cathédrale avant l’incendie grâce à des images filmées 360 degrés, puis de la voir dans son état actuel, partiellement détruite. Présentée comme fascinante et bouleversante, cette visite en réalité virtuelle immersive ne peut se faire que dans les locaux de FlyView, moyennant 19 euros, et selon un scénario de 18 minutes. C’est actuellement la seule visite possible de la cathédrale. On est encore loin d’un accès en ligne, gratuit, universel, illimité et où chacun est son propre guide.

Le virtuel ne met pas en péril le sacré

Bien que virtuelle, une réplique numérique de Notre-Dame de Paris, ou d’une autre cathédrale, peut très bien accomplir elle aussi une mission spirituelle et être un lieu de recueillement, de culte et d’étude religieuse. La pandémie de Covid-19 qui a entraîné la fermeture des lieux de culte partout dans le monde a révélé la capacité des fidèles de toutes les religions à se réunir virtuellement pour communier, prier, s’enseigner les uns les autres et exercer leur foi en accomplissant des cyber-rituels. Si la technologie peut être une menace pour les religions à travers le transhumanisme, elle peut aussi être un support qui la favorise et la renouvelle.

Certains mondes virtuels très réalistes sont terrifiants ou merveilleux. Ils peuvent aussi bien revêtir une dimension sacrée, sous une forme tout aussi intense. En effet, l’environnement numérique favorise la propagation du sacré, produit de nouvelles formes de syncrétisme et amène à vivre une communion mystique. Alors que des millions de personnes visitent la cathédrale Notre-Dame chaque année, y compris pendant les offices religieux, il serait possible de profiter de la cathédrale virtuelle de manière beaucoup plus paisible et dans un recueillement libéré de toute perturbation.

Les visiteurs pourraient avoir le privilège d’observer sous tous les angles les centaines d’objets sacrés numériques présents dans la cathédrale, dont des reliques virtuelles et même de les manipuler, les vraies n’étant exposées qu’une fois par mois. Parmi ces reliques, on trouve la couronne d’épines, la tunique de Saint-Louis, l’ostensoir de Sainte-Geneviève, ainsi qu’un clou de neuf centimètres, un morceau de croix et une partie du fouet qui auraient été utilisés pendant la Passion du Christ. La réalité virtuelle permet des reconstitutions de ces objets tels qu’ils étaient à l’origine et de raconter leur histoire jusqu’à nos jours.

Des alternatives multiples de visites thématiques

De nombreux scénarios de visites virtuelles de Notre-Dame pourraient être proposés grâce à la réalité virtuelle : les différentes étapes de la construction de la cathédrale, ses différentes évolutions, le déroulement de l’incendie, les travaux de restauration ou encore les versions de Notre-Dame revisitée par des architectes du monde entier qui lui ont rendu hommage après l’incendie.

Toutes ces visites virtuelles thématiques alternatives permettraient de toucher un plus large public et de disséminer la connaissance relative à Notre-Dame alors même que celle-ci est fermée. La réalité virtuelle immersive apparaît donc comme une solution pertinente et durable pour faire revivre la Cathédrale, en faire profiter ceux qui la connaissent déjà et à qui elle manque, et la faire découvrir à ceux qui n’ont pas pu la visiter et ne pourront pas avant longtemps.

Oihab Allal-Chérif, Business Professor, Neoma Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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