
En vertu d’une nouvelle stratégie des services de l’immigration, certains demandeurs d’asile aux États-Unis risquent d’être arrêtés lors de leurs audiences. Des chrétiens apprennent à accompagner ces situations.
Un matin de juin, dans le centre-ville de Los Angeles, un petit groupe de huit personnes se forme pour observer les audiences des services d'immigration.
Munis de carnets pour prendre des notes, ils sont pour la plupart protestants, mais il y a aussi des juifs et des représentants d’autres croyances. Ils sont conduits par un groupe religieux local appelé CLUE (Clergy and Laity United for Economic Justice). Selon sa directrice, Jennifer Gutierrez, de plus en plus de catholiques participent eux aussi à ces sessions d’observation ces dernières semaines.
Ashley Hiestand, pasteure à la Mount Hollywood United Church of Christ, fait partie de ce groupe qui visitait le tribunal de l'immigration pour la première fois. Elle a d’abord été intimidée, notamment à la vue des agents de l’immigration (ICE) dans les couloirs, mais une fois le processus compris, les choses lui ont semblé plus simples.
"Nos paroissiens ne savent pas toujours comment s’impliquer concrètement en ce moment… Mais c’est une façon de le faire", explique-t-elle.
Les États-Unis comptent 58 tribunaux spécialisés dans l'immigration, principalement dans les grandes villes comme New York, Los Angeles ou Miami, ou à proximité de centres de rétention comme celui d’Adelanto, situé à environ 145 kilomètres au nord-est de Los Angeles.
La grande majorité des personnes menacées d’expulsion aujourd’hui sont chrétiennes.
Le public a le droit d’assister aux audiences. Dans les grandes villes, depuis que l’administration Trump a instauré une nouvelle méthode d’expulsion depuis les tribunaux, de plus en plus de chrétiens viennent en observateurs.
Lors des audiences de renvoi, les avocats du Département de la Sécurité intérieure (DHS) peuvent demander le rejet du dossier. Si le juge accepte, la procédure d’immigration légale se termine et l’immigrant devient éligible à une "expulsion accélérée". Autrement dit, l’ICE peut l’arrêter à la sortie du tribunal et le placer en instance d’expulsion.
Cette procédure prive de recours juridique de nombreux immigrants qui étaient entrés aux États-Unis dans le cadre de divers programmes légaux — par exemple via l’application CBP One — mais qui sont désormais menacés d’expulsion en raison de l’annulation de ces programmes d’asile par l’administration Trump.
En mai dernier, un pasteur du Queens venu observer une audience à New York a été arrêté, au moment où l’ICE s’engageait dans cette nouvelle tactique d'arrestation des personnes lors de leurs audiences au tribunal. Il a ensuite été relâché.
Avant d’entrer dans le tribunal ce matin-là, Jennifer Coria de CLUE, souligne que leur démarche ne relève pas de la désobéissance civile. Il s’agit de respecter les règles : observer les audiences, proposer des ressources aux immigrés présents, être témoin des arrestations opérées par l’ICE en dehors des salles, et filmer les détenus lorsque les agents les embarquent dans des fourgons.
Souvent, ces observateurs sont les seuls à pouvoir transmettre un message d’urgence à la famille d’un détenu sans avocat, parfois avant son transfert dans un centre situé dans un autre État. Les bénévoles proposent alors de prendre contact avec une personne lorsqu'ils le peuvent.
Coria n’avait jamais assisté aux audiences à Los Angeles, mais elle en avait déjà observé dans le comté voisin d’Orange, où elle a vu des personnes se faire arrêter immédiatement par l'ICE après que leur dossier ait été rejeté.
Les bénévoles de CLUE présents ce jour-là sont en majorité issus des Églises protestantes historiques, mais des évangéliques hispanophones participent aussi régulièrement aux événements de l’organisation.
Après avoir passé les contrôles de sécurité et marché sous le regard des soldats de la Garde nationale, le groupe se dirige vers les salles où se tiennent les audiences dites de master calendar — des sessions groupées où les juges entendent plusieurs affaires à la suite, pendant que les agents de l’ICE attendent à l’extérieur pour procéder à des arrestations.
Coria suggère de diviser le groupe : certains à l’intérieur de la salle d’audience, d’autres dans le couloir, pour observer les mouvements des agents.
Lorsque deux chrétiens entrent dans la salle, le greffier leur demande qui ils sont. Ils indiquent alors de quelle église ils viennent.
"Le juge de vendredi a bien remarqué notre présence dans la salle : il nous regardait quand il parlait", rapporte Coria.
Sept immigrés sont assis sur les bancs, attendant que leur nom soit appelé. L’une porte un bébé, qu’elle tente de distraire avec des jouets. Le juge l’autorise à se lever et bercer l’enfant pendant l’audience.
À l’extérieur, quatre hommes non identifiés en pantalon cargo, chemise à manches courtes et montre imposante sont rassemblés. L’équipe de CLUE suppose qu'il s’agit des agents de l’ICE.
La juge Rachel A. Ruane, debout, un grand mug de café à la main, appelle plusieurs immigrants à la fois pour entendre leurs affaires – un rythme soutenu qui reflète la charge de travail des juges en matière d’immigration. Certains cas concernent des personnes entrées sur le territoire en 2022 et dont l’audience principale était fixée à 2028.
Les trois premiers migrants convoqués ce jour-là n’ont pas d’avocat : la femme avec son bébé, un jeune homme, et un autre homme venu spécialement de Houston pour son audience. La juge leur remet une liste de services juridiques gratuits, précisant qu’ils peuvent être représentés s’ils le souhaitent.
L’avocat du DHS demande à classer deux des affaires, ce qui permettrait aux agents d’arrêter les personnes concernées.
La juge interroge les deux immigrés via un interprète en espagnol pour savoir s’ils acceptent la motion ou s’ils souhaitent du temps pour trouver un avocat. Un rejet de procédure de rejet pourrait, en apparence, paraître favorable aux immigrants, mais la femme avec le bébé sait ce que cela impliquerait : elle se met à pleurer, expliquant en espagnol qu’elle craint d’être persécutée si elle devait retourner dans son pays.
La juge déclare alors à l’avocat du DHS :
"Je suspends les motions de rejet pour aujourd’hui."
Elle donne aux immigrants un délai pour trouver un avocat d’ici la prochaine audience afin de se préparer à la procédure d'expulsion.
Après cette décision, les agents présumés de l’ICE quittent le couloir.
À la sortie de la salle, le groupe de chrétiens de CLUE aborde les immigrés pour leur demander s’ils auraient besoin d’aide juridique. À l’avenir, ils apporteront des fiches de ressources imprimées en espagnol.
Après une série d'affaires, les bénévoles se retrouvent à l’extérieur du tribunal. La femme portant son bébé discute encore avec l’un d’eux. Ils se demandent si quelqu’un pourrait la raccompagner, mais personne n’a de siège auto. Ils attendent donc avec elle que quelqu’un vienne la chercher.
La pasteure Hiestand affirme que les descentes incessantes des services de l'immigration sont vécues comme un "enfer" à Los Angeles, mais que le simple fait d’être là, représente un "petit geste juste et nécessaire".
"Il ne faut pas tout savoir", explique-t-elle, "mais juste être là, éventuellement avec un ami si pas avec un groupe officiel."
"Il est important de rendre témoignage. J'ai remarqué que les gens réagissent à notre présence. Les gens appelés au tribunal le voient, les gens qui travaillent au tribunal le voient".
Le groupe discute d'un plan visant à se rendre au tribunal de Los Angeles chaque semaine, avec des volontaires le matin et l'après-midi.
"La communauté ressent cette présence même si l'ICE n'est pas là", rapporte Coria.
Emily Belz à Los Angeles
Un article de Christianity Today. Traduit avec autorisation. Retrouvez tous les articles en français de Christianity Today.