Au Nigeria, le banditisme et le terrorisme contraignent des églises à fermer leurs portes

Au Nigeria, le banditisme et le terrorisme contraignent des églises à fermer leurs portes

Pas moins de 23 pasteurs assassinés en 4 ans, c’est le lourd bilan des violences contre les chrétiens dans le seul État de Kaduna au Nigeria. Les responsables religieux alertent les autorités dans un pays où les attaques commises par les djihadistes se croisent avec celles commises par des bergers peuls et des bandits.

Le 12 septembre dernier, le président de la section de l’Association chrétienne du Nigeria (CAN) de l'État de Kaduna, le révérend Joseph Hayab, s’est entretenu avec les autorités de police. À cette occasion, Hayab, accompagné de pasteurs de différentes confessions des 23 zones des gouvernements locaux de l’État, a expliqué les difficultés rencontrées par les communautés chrétiennes, selon Sahara Reporters.

Dans cet État d’environ 9 millions d’habitants, les chrétiens représentent la moitié de la population. En 4 ans, 200 églises y ont été fermées, 23 pasteurs et des centaines de chrétiens ont été tués, souligne le révérend Hayab :

"Quand vous allez dans de nombreuses églises maintenant, vous verrez de nombreux pasteurs qui viennent d'églises qui ont été fermées parce qu'elles ne peuvent pas continuer."

 Le révérend  et ses collègues mettent en cause les prédicateurs de haine ainsi que les bandits, notamment les vendeurs de drogues dures et appellent la police à enquêter à ce sujet.

Le commissaire de police, Musa Garba, a répondu aux pasteurs que la criminalité n’a pas de religion et que celui qui se livre à un acte criminel doit être traité comme un criminel sans le profiler comme chrétien, musulman ou selon sa tribu ou son origine ethnique. Il a ajouté que les forces de l’ordre sous son autorité feront de leur mieux :

"Nous devrions tous être les gardiens de nos frères."

Si cette réunion a permis à la police de manifester sa volonté de protéger les chrétiens, les autorités restent relativement démunies face à la violence qui les frappe. Attentats, rapts, attaques de bergers peuls font partie du quotidien des habitants de l’État, l’un des six du nord-ouest du pays à être particulièrement exposé aux violences à l’encontre des chrétiens.

Le problème du rapt de chrétiens

Un pasteur kidnappé le 8 août 2023 a déclaré aux dirigeants de la CAN que plus de 215 chrétiens avaient été enlevés par les bandits dans la forêt de Birnin Gwari dans l’État de Kaduna. Cependant, contrairement aux islamistes radicaux, ces criminels n’entendent pas les tuer, mais demandent des rançons. Ils laissent leurs prisonniers vivre leur foi, et le pasteur a raconté qu’ils lui ont même demandé de diriger des cultes chrétiens.

Les kidnapping par des bandits sans motivation idéologique sont de plus en plus nombreux en raison de leur nature lucrative, mais les chrétiens gardent l’espoir de survivre. Ainsi le 7 avril dernier, des bandits ont fait irruption dans une église baptiste et ont capturé 40 chrétiens avant de relâcher ceux qui ralentissaient leur marche, alors que 15 d’entre eux s’étaient déjà échappés, selon le révérend Hayab :

"Ils ont abandonné ou libéré ceux qu’ils avaient des difficultés à diriger à cause de leurs problèmes de santé, de la fatigue ou de l’âge."

Cependant, il n’y a là qu’un souci pratique et non la moindre inquiétude pour ces victimes. Ainsi, une femme avait été abandonnée dans la brousse avec son bébé vivant, car les ravisseurs croyaient qu’elle était morte. Les auteurs de ces rapts non commis par des djihadistes se permettent de libérer des prisonniers, car ils savent qu’ils toucheront tout de même une rançon quel que soit le nombre de personnes kidnappées.

Les violences religieuses : le fléau du Nigeria

Si ces enlèvements sont très douloureux et peuvent conduire à des décès, les attaques contre des chrétiens pour les exterminer sont plus courantes et particulièrement meurtrières. Des agressions parfois attribuées à des bandits alors qu'elles sont en réalité le fait d’assaillants criant "Allahou akbar", souligne l’ONG Portes Ouvertes, ce qui témoigne de leur motivation islamiste.

S’ils volent, violent et tuent, ils le font en ciblant particulièrement les chrétiens ; ils le font par ailleurs quand ils ne parviennent pas à convertir sous la menace ces chrétiens à l’islam.

Ainsi, les biens de la famille de Manga, alors âgé de 20 ans, ont été volés par les hommes de Boko Haram en 2012, avant qu’ils n’exigent que les hommes ne se convertissent à l’islam et ne décapitent le père de famille devant les siens parce qu’il refusait d’apostasier. Manga et son frère ont été laissés pour morts.

Les djihadistes de l’ancien Boko Haram créé en 2002, aujourd’hui scindé entre un groupe du même nom et l’État islamique en Afrique de l'Ouest, terrorisent les chrétiens depuis 2009.

Eux aussi peuvent recourir au rapt de chrétiens, particulièrement de jeunes filles dont ils font des esclaves sexuelles et de jeunes garçons formés pour devenir des terroristes. L’enlèvement de 276 lycéennes à Chibok, dans l’État de Borno en avril 2014, est encore dans toutes les mémoires. Cependant, contrairement aux ravisseurs uniquement motivés par l’appât du gain, les djihadistes obligent leurs prisonniers à se convertir à l’islam.

Attentats contre des églises, destructions de villages, maisons de chrétiens enflammées sont des pratiques courantes pour les groupes djihadistes, rejoints en cela par des bergers peuls. L’attaque à Owo dans l’État d’Ondo contre l’église St. Francis Xavier, à l’occasion de la Pentecôte l’an dernier, avait marqué par l’ampleur du carnage avec une cinquantaine de morts et une soixantaine de blessés. Si aucun groupe terroriste n’a revendiqué l’attentat, les Haoussas et les Peuls ont été accusés de complicité par des locaux.

En avril dernier, des bergers peuls ont attaqué un camp de personnes déplacées, faisant une trentaine de morts, surtout chrétiens.

Selon l’Index mondial de la persécution 2023 établi par Portes Ouvertes, 4 726 chrétiens ont été enlevés en un an au Nigeria entre le 1er octobre 2021 et le 30 septembre 2022. Un chiffre impressionne encore davantage, celui du nombre de morts : si 5 621 chrétiens ont été tués durant cette période à travers le monde, 5 014 chrétiens l’ont été dans le seul Nigeria.

Jean Sarpédon

Crédit image : Shutterstock/ Ariyo olasunkanmi

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