Au Kenya, le président fait polémique en donnant 280.000 euros à des églises évangéliques

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En donnant plus de 280.000 euros à des églises évangéliques, officiellement sur ses derniers personnels, le président kényan William Ruto fait polémique, soupçonné d'avoir cédé à un électoralisme douteux alors qu'il fustigeait il y a moins d'un an ce type de "corruption". 

L'un des heureux bénéficiaires des fonds, le Jesus winner ministry (ministère de Jésus le vainqueur), qui sur son site internet souligne que "la générosité consiste à donner plus que ce qui est requis", a accepté cette contribution sans sourciller. 

Mais moins d'un an après des manifestations contre la hausse de certaines taxes et la corruption qui furent réprimées dans le sang, les donations présidentielles passent mal dans une partie de l'opinion.

Le 9 mars, les forces de l'ordre ont usé de gaz lacrymogène pour disperser des protestaires rassemblés devant une église du Jesus winner ministry de Nairobi, à laquelle M. Ruto, lui-même chrétien évangélique, avait donné début mars 20 millions de shillings (plus de 142.000 euros) et promis de collecter 100 millions shillings (environ 712.000 euros) supplémentaires.

La pratique des dons aux églises est ancrée au Kenya, pays majoritairement chrétien, où les politiciens visitent régulièrement les lieux de culte. Et plus encore durant les années électorales, afin de s'attirer les grâces des dévots qui sont autant de voix potentielles pour les futurs scrutins, comme la présidentielle de 2027.

L'an passé, le député Oscar Sudi, un allié du président, avait été acclamé par des fidèles lorsqu'il avait remis un sac contenant trois millions de shillings (environ 21.000 euros) dans une autre une église.

"Libérer l'Église"

M. Ruto a enfoncé le clou: après sa première annonce à Nairobi, il s'est rendu dans une autre église évangélique à Eldoret (ouest), à qui il a également offert 20 millions de shillings. Avant, virulent, de qualifier ceux qui critiquent ses dons de "personnes qui ne croient pas en Dieu".

Il y a moins d'un an pourtant, après les manifestations de juin, le même président kényan avait interdit aux fonctionnaires de participer au financement d'églises. "C'est une source de corruption", avait alors tranché M. Ruto, élu en 2022 après avoir notamment promis de lutter pour une meilleure redistribution des richesses et contre les détournements de fonds.

Un porte-parole de la présidence a affirmé à l'AFP que les dons présidentiels provenaient de ses propres deniers. Mais beaucoup se disent sceptiques, dans un pays habitué des scandales de corruption.

"D'où vient cet argent ? Montrez nous les reçus", dénonce Mwabili Mwagodi, qui durant les sanglantes manifestations de juin avait participé au mouvement "Occupons les églises".

Alors que plus de 60 protestataires avaient été tués et des dizaines d'autres enlevés par les forces de sécurité, selon des groupes de défense des droits humains, "Occupons les églises" visait à interpeller les religieux, qui ne s'exprimaient pas sur le sujet.

Certains prédicateurs avaient finalement été contraints de sortir du silence après que des militants s'étaient invités pendant leurs offices à Nairobi.

L'Église catholique kényane avait ainsi rejeté une donation du président après que Mwabili Mwagodi avait diffusé en ligne les coordonnées de ses prêtres, afin que ses partisans les inondent de mails.

"Je me bats pour libérer l'Église de la corruption politique au Kenya", a justifié M. Mwagodi dans un post sur X.

Sollicité à de multiples reprises par l'AFP, le Jesus winner ministry n'a jamais donné suite.

"Cimetières de la spiritualité"

"Certaines églises utilisent leurs énormes congrégations et leurs plateformes pour donner du capital politique aux politiciens", et "cela encourage la corruption", explique à l'AFP l'avocat kényan Javas Bigambo.

D'autres voix critiques craignent que les dons aux églises ne soient utilisés par les politiciens pour blanchir de l'argent sale.

Le révérend Timothy Njoya, prédicateur renommé de Nairobi, désormais en retraite, dénonce ce mélange des genres. Lui-même a fait campagne pour la justice politique et sociale sous le régime autoritaire du deuxième président du Kenya, Daniel arap Moi (1978-2002). Il porte encore aujourd'hui les cicatrices de coups reçus lors de manifestations.

Les dons des hommes politiques aux églises ont transformé celles-ci en "cimetières de la spiritualité" et les prédicateurs qui acceptent cet argent "vendent" leurs ouailles, s'indigne-t-il.

Lui-même affirme n'avoir pas toléré de tels comportements à son époque. "Les hommes politiques venaient dans mon église, mais ils n'avaient pas de tribune, lance-t-il à l'AFP. C'est moi qui prêchais, pas eux. Ce n'était pas leur tribune, mais celle de Dieu."

Le Conseil national des églises du Kenya a récemment interdit aux politiciens de s'adresser aux congrégations ou d'annoncer des contributions monétaires en chaire. Mais William Ruto, lui, a d'ores et déjà annoncé qu'il continuerait à "construire des églises".

La Rédaction (avec AFP)

Crédit image : Shutterstock / Andrzej Kubik

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