Alors que le Mali vient de vivre sa seconde vague épidémique, notre équipe de recherche termine une analyse anthropologique de la manière dont l’un des plus grands hôpitaux de Bamako s’est organisé pour faire face à la première vague.
Cette étude s’inscrit dans un programme de recherche international visant à comparer la résilience de plusieurs hôpitaux et leurs professionnels dans le contexte de la pandémie de Covid-19 au Brésil, au Canada, en Chine, au Japon, en France et au Mali. Une telle recherche est utile car les hôpitaux publics ont été mis sur le devant de la scène très tôt dans la lutte contre la pandémie, alors même que les réformes néolibérales de ces trente dernières années ont largement contribué à miner leur capacité à y faire face. En outre, la permanence de l’hospitalo-centrisme, de la demande faite aux utilisateurs de payer les soins lorsqu’ils sont malades et se rendent dans les services de santé, ainsi que la construction de nouveaux hôpitaux en Afrique interrogent sur l’organisation des systèmes de santé pour répondre aux besoins prioritaires des populations. En effet, depuis la conférence d’Alma-Ata (1978) et la Charte d’Ottawa (1986), la réorganisation des services pour plus de soins de santé primaires est une urgence de santé publique puisque les besoins de santé se trouvent en grande majorité à ce niveau de base.
Au Mali, les évaluations du ministère de la Santé montrent toutes que la performance des hôpitaux n’était pas au rendez-vous avant la pandémie de Covid-19, pas plus que le financement que le gouvernement accorde à la santé. En effet, seulement 5,4 % du budget de l’État malien est consacré au secteur de la santé alors que cet effort est de 8,7 % au Burkina Faso et de 14,7 % en France.
Dans un contexte sécuritaire tendu depuis des années et alors que le pouvoir exécutif est confronté à une forte contestation populaire, les priorités gouvernementales sont ailleurs. La pandémie est donc venue s’ajouter aux multiples défis que rencontrent les hôpitaux du Mali pour répondre aux besoins de la population.
Le contexte de l’Hôpital du Mali
Les premiers cas confirmés de Covid-19 ont été admis à l’Hôpital du Mali (HDM) le 29 mars 2020, cinq jours après l’identification du premier cas dans le pays. L’HDM est l’un des plus récents hôpitaux du pays. Construit grâce à l’appui de la coopération chinoise dans le quartier de Yirimadio, à Bamako, il a été inauguré en septembre 2010. Il bénéficie d’une équipe médicale chinoise de 28 professionnels (médecins et infirmiers). Il dispose de 132 lits et jouit d’une bonne réputation. L’HDM est un établissement public hospitalier qui bénéficie d’une autonomie administrative et financière consacrée par la réforme hospitalière de 2002.
Notre analyse repose sur une étude anthropologique réalisée entre avril et juillet 2020. Nous avons réalisé une trentaine d’entretiens avec des membres du personnel (santé, hygiène, administration) et une cinquantaine de séances d’observation de situation dans les différents services de l’hôpital. Au 31 juillet 2020 (période de notre enquête), il y avait 2 535 cas de Covid-19 confirmés et 124 décès enregistrés au Mali.
Un personnel qui s’inquiète, questionne et n’est pas suffisant
L’arrivée de l’épidémie a entraîné beaucoup d’interrogations de la part du personnel, pour peu de réponses. En dehors des techniques de prévention, les informations sur le virus (modes de transmission, durée de vie, etc.) étaient peu maîtrisées. La peur était palpable. Les médias internationaux ont contribué à accentuer cette peur à travers des reportages récurrents sur les ravages de l’épidémie en Europe puis aux États-Unis. Très vite, cependant, nos interlocuteurs ont pris conscience qu’il y avait un décalage entre ce qu’ils voyaient dans les médias occidentaux et la réalité des faits dans leur contexte.
Bien avant l’arrivée de la pandémie, l’hôpital faisait face à une pénurie de personnel. C’est pourquoi la délivrance des soins Covid-19 s’est largement appuyée sur le travail bénévole effectué par des internes des hôpitaux, des étudiants et infirmiers en stage, comme l’explique un infirmer de l’Unité Covid :
« Ils sont allés dans tous les services chercher des volontaires. J’ai donné mon nom puis j’ai commencé. »
De plus, la direction de l’hôpital a pris la décision de redéployer le personnel fonctionnaire. En juin, le nombre total de médecins travaillant sur le site Covid-19 s’élevait à 29 professionnels : sept fonctionnaires et 22 contractuels. Pour les contractuels, le montant des salaires mensuels dans le service Covid-19 a été fixé à 400 000 francs CFA (610 euros) pour les médecins et 250 000 francs CFA (381 euros) pour les infirmiers, soit environ deux fois le salaire habituel. Des primes ont été prévues pour les fonctionnaires (10 000 francs CFA par jour pour les médecins et infirmiers de la catégorie A, 9 000 francs CFA pour les infirmiers de la catégorie B et 8 000 francs CFA pour les autres catégories, soit de 15 à 12 euros environ). Si ces montants relativement importants semblent attractifs, il faut noter que les longs délais de paiement (trois mois dans certains cas) ont fini par avoir raison de l’engouement de certains.
L’adaptation des infrastructures
La survenue de l’épidémie à l’hôpital n’a fait qu’accentuer le besoin de place pour prendre en charge les patients Covid-19, nécessairement isolés des autres patients.
Au départ, l’unité de triage était composée de deux tentes. Puis, à la suite d’une intempérie majeure, ces tentes ont été transférées dans un bâtiment voisin. Ensuite, plusieurs changements ont été opérés. La création et l’équipement d’infrastructures dédiées à la prise en charge des patients Covid-19 a permis de faire face au flux de patients pendant les premiers mois de l’épidémie.
La création d’une unité de triage et d’hospitalisation des cas suspects a permis de mieux coordonner le travail entre l’unité de prise en charge des patients Covid-19 et les services des urgences de l’hôpital où les cas suspects étaient orientés en cas de résultats négatifs. L’augmentation des capacités d’hospitalisation de l’unité de prise en charge Covid-19 a fait que la disponibilité des places n’a pas fait défaut. Tous les patients admis à l’unité ont été pris en charge, y compris les cas de réanimation.
La première vague est passée, l’hôpital a récupéré
L’analyse des quatre premiers mois de la gestion de la crise montre que l’hôpital s’est adapté à l’arrivée de la pandémie et a réussi à faire face, malgré d’importants défis de ressources humaines et d’infrastructures.
Il y a même eu une période au cours de laquelle le site de prise en charge Covid-19 était vide de patients mais plein d’agents de santé. Cependant, les patients victimes de la Covid-19 ont été bien pris en charge lors de cette première vague. Les autres patients ont délaissé l’hôpital le temps de la première vague puis ils ont rapidement retrouvé le chemin de l’accès aux soins après, pour ceux qui pouvaient payer. Il faut espérer que les prochaines vagues épidémiques seront d’une aussi faible ampleur afin de permettre à l’hôpital du Mali de déployer les mêmes stratégies d’adaptation efficace et propre à la résilience, comme nous l’avons vu au Sénégal.
_Cet article a été co-écrit avec Laurence Touré, anthropologue, coordinatrice et responsable de recherche à l’association de recherche MISELI, Bamako, Mali. Merci à Seydou Diabaté et Yacouba Diarra pour leur soutien à la collecte des données.
Valery Ridde, Directeur de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD); Abdourahmane Coulibaly, Anthropologue, Faculté de médecine et d’Odontostomatologie, Département d’Enseignement et de Recherche en Santé Publique, Université des sciences, des techniques et des technologies de Bamako et Kate Zinszer, Professeure adjointe à l’École de Santé Publique de l’Université de Montréal (ESPUM) et chercheuse au Centre de Recherche en Santé Publique (CReSP)., Université de Montréal
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.