Arrêt de C8 : l’Arcom porte-t-elle atteinte à la liberté d’expression ?

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Depuis le 1er mars 2025, les chaînes C8 et NRJ12 ont cessé d’émettre sur la TNT, leur autorisation de fréquence n’ayant pas été renouvelées par l’Arcom. Cette fermeture suscite une forte polémique liée à Cyril Hanouna, le présentateur vedette de C8. Alors que ces décisions ont été confirmées par le Conseil d’État, le régulateur est accusé d’accointances politiques et d’atteinte à la liberté d’opinion et d’expression. Qu’en est-il au regard du droit ?

Pour comprendre le processus qui a conduit à ce non-renouvellement, décrivons tout d’abord les conditions d’exercice de l’Autorité de régulation.

En France, le monopole d’État sur l’audiovisuel a pris fin grâce à l’essor des radios libres et à la volonté politique de François Mitterrand. La loi du 29 juillet 1982 a proclamé la liberté de communication audiovisuelle, autorisant la création de radios locales privées et instituant la Haute Autorité de la communication audiovisuelle (Haca) comme premier régulateur. La loi du 30 septembre 1986 dite "loi Léotard", modifiée plus de 90 fois, toujours en vigueur, a participé à la libéralisation du secteur, symbolisée par la privatisation de la Une, première chaîne nationale.

La Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL) a succédé à la Haute Autorité, puis le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) en 1989 à la CNCL. Le 1er janvier 2022, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) se substitue au CSA et marque la bascule du secteur dans l’ère numérique.

La TNT vient bouleverser le paysage audiovisuel français

Le passage en numérique de la télévision date de fait de mars 2005. Une date clé dans l’histoire de l’audiovisuel français. La télévision numérique terrestre (TNT) débarque dans les foyers français, qui délaisseront l’antenne râteau pour voir se multiplier le nombre de chaînes gratuites (24 chaînes seront finalement accessibles).

En 1989, les compétences du régulateur sont étendues à l’ensemble du secteur privé de la communication audiovisuelle, incluant radios, télévisions locales et nationales, diffusées par voie hertzienne ou satellitaire, ainsi qu’à l’exploitation des réseaux câblés. C’est dans ce cadre juridique unifié qu’un système d’appel à candidatures pour les services privés est instauré. Le but : garantir la transparence et le pluralisme.

Dès lors, l’éditeur de radio et de chaîne hertziennes doit signer une convention avec le régulateur qui l’oblige à prendre un certain nombre d’engagements et de responsabilités issus des principes généraux de la loi de 1986, notamment : le respect de la dignité de la personne humaine, la protection des plus jeunes, le caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinions, l’honnêteté de l’information, la qualité et la diversité des programmes, et leur développement.

C’est donc une liberté de communication qui est encadrée. Et il revient à l’Autorité de veiller au respect des obligations éditoriales fixées par la loi et des conventions qu’elle signe avec les chaînes.

Une longue échelle de sanctions

Pour réguler, l’Arcom dispose d’une gamme de sanctions qui s’est étoffée avec le temps : envoi de lettres, de lettres fermes, mise en garde et, enfin, mise en demeure. C’est seulement après cette mise en demeure que le régulateur peut suspendre tout ou partie du programme pour un mois ou infliger une sanction pécuniaire, réduire l’autorisation délivrée dans la limite d’une année ou, enfin, sanction ultime, retirer l’autorisation. Ce retrait peut également être effectif, sans mise en demeure, en cas de modification substantielle de la convention par la chaîne.

En 2015, après "la modification substantielle de données au vu desquelles l’autorisation a été accordée", l’Autorité de régulation prononce le retrait de l’autorisation d’émettre de la chaîne Numéro 23, bloquant son projet de vente au groupe NextRadioTV. Une décision inédite, annulée par le Conseil d’État en 2016.

En février 2022, au début de la guerre en Ukraine, l’Arcom, à l’instar de ses homologues européens, suspend la convention de la chaîne RT France et interdit sa distribution.

Le retrait de C8 du spectre de la TNT

La durée de la convention d’une chaîne sur la TNT est de dix ans, renouvelable une fois pour cinq ans. À son expiration, une procédure d’attribution d’autorisation d’usage des ressources radioélectriques pour la diffusion de services de TNT doit être relancée. Notons que les fréquences sont rares et issues du domaine public.

En février 2024, l’ancien président de l’Arcom, Roch-Olivier Maistre, annonçait repartir "d’une page blanche" avec le respect du pluralisme en ligne de mire.

Pour la première fois, l’Autorité s’est retrouvée dans la situation d’une mise en appel concernant toutes les chaînes lancées au démarrage de la TNT en 2005. L’Arcom ouvre alors un appel à candidatures : 25 dossiers sont déposés pour 15 fréquences de la TNT, dont 11 gratuites.

Selon la loi, il appartient à l’Arcom de procéder à une appréciation en fonction de critères techniques, mais aussi de l’expérience acquise par le candidat, de sa contribution au pluralisme et à la diffusion d’œuvres audiovisuelles ainsi que de la solidité financière du projet. Enfin, et surtout, cette appréciation est faite en fonction des dispositions envisagées pour "garantir le caractère pluraliste de l’expression de courants de pensée et d’opinion, l’honnêteté de l’information et son indépendance à l’égard des intérêts économiques des actionnaires".

Pour un service existant, l’intérêt du public pour la chaîne, sa solidité économique ainsi que les manquements réitérés sont donc pris en compte, notamment lorsqu’ils concernent le respect du droit de la personne et la maîtrise de l’antenne.

Qu’en est-il pour C8 et NRJ12 au regard de ces critères ?

TPMP et les manquements de Cyril Hanouna

C8 est une chaîne généraliste, sa structure de programmation comprend des documentaires et magazines, de la fiction audiovisuelle et du divertissement, musique et spectacles. Les émissions en direct représentent 32 % du temps total de la diffusion.

Touche pas à mon poste (TPMP), animée par Cyril Hanouna, est l’émission phare de la chaîne, suivie par près de 2 millions de téléspectateurs tous les soirs. Au coude à coude avec Arte, les deux chaînes bénéficient d’une part d’audience de 3 % en 2024. Cela fait de C8 la "première" chaîne de la TNT devant Cnews (2,9 %), BFM (2,9 %) et NRJ12 (moins de 1 %), mais derrière toutes les chaînes historiques : TF1 (18,5 %), France 2 (15,8 %), M6 (7,8 %), France 3 (8,9 %), France 5 (3,5 %).

Ensuite, sur le plan financier, les deux groupes concernés – Canal Plus (pour ses chaînes gratuites) et NRJ group – sont les seuls négatifs, respectivement, -36,3 millions d’euros et -22,9 millions d’euros, en 2023.

Enfin, depuis son lancement, la chaîne C8 comptabilise 17 mises en garde, 7 mises en demeure et 11 sanctions pécuniaires.

Pour exemple :

  • dans l’émission PAF avec baba : Cyril Hanouna diffuse une vidéo présentant à tort deux personnes handicapées comme des toxicomanes (12  septembre 2023, non-respect du droit de la personne) ;

  • dans TPMP : l’interview de Loana (ancienne vedette de la téléréalité) évoquant son viol vire au cauchemar (février 2024, non-maîtrise de l’antenne) ;

  • dans TPMP : baiser forcé et attouchement sur la personne d’une chroniqueuse (mars 2024, images susceptibles d’humilier des personnes) ;

  • dans TPMP : invitation de faux policiers de la BRAV-M (juin 2023, non-respect de l’obligation d’honnêteté et de rigueur de l’information) ;

  • dans TPMP : appel à un procès expéditif pour le meurtrier de Lola (novembre 2022, non-respect du traitement avec mesure d’une affaire judiciaire en cours) ;

  • dans TPMP : des personnes LGBT se font piéger par téléphone (mai 2017, non-respect de la vie privée)…

Au total, près de 8 millions d’euros ont dû être versés par la chaîne sanctionnée par l’Arcom.

L’Arcom porte-elle atteinte à la liberté d’expression ?

Actuellement, 62 % des Français regardent la télévision via la TNT : il s’agit donc d’une infrastructure essentielle. Son accessibilité universelle fait d’elle un outil clé pour un accès égalitaire à l’information et à la culture. Mises sous tension, car en concurrence avec les réseaux sociaux, sur tous les fronts (attention, publicité, vieillissement des publics), les dérapages par ces chaînes se sont multipliés, au risque d’embarquer avec elles nos démocraties.

La décision de l’Arcom ne porte pas atteinte à la liberté d’expression. Au contraire. Malgré une audience importante, les manquements réitérés de la chaîne C8 l’ont disqualifiée dans cet appel d’offres aux critères précis : respect de la dignité de la personne humaine, protection des plus jeunes, pluralisme de l’expression des courants de pensée et d’opinion, et honnêteté de l’information. La responsabilité des éditeurs est un des piliers du cadre législatif, elle participe aussi de la garantie de notre liberté d’expression.

Nathalie Sonnac, Professeure en sciences de l'information et de la communication, Université Paris-Panthéon-Assas

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Crédit image : Shutterstock / sylv1rob1

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