Arrestation des assassins d’un chanteur soufi dans un Pakistan où des musulmans en persécutent d’autres

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L’arrestation, ce lundi, de deux islamistes soupçonnés d’avoir assassiné un célèbre chanteur soufi, Amjad Sabri, au Pakistan va dans le sens de la thèse du crime religieux, déjà clamé par les Talibans. Les meurtriers sont des sunnites d’un groupe terroriste proche d’al-Qaïda, et ils sont également soupçonnés d’avoir attaqué des chiites. Cette affaire met le pays devant ses divisions religieuses qui concerne également la persécution entre musulmans dans un pays où ils comptent pour 97% des habitants.

Amjad Sabri, apprécié pour son art, sa simplicité et ses activités humanitaires, était connu au Pakistan pour ses chants religieux consacrés au soufisme, une version mystique de l’islam sunnite qui concerne 60% de la population musulmane du pays. Aussi bien les sunnites que les chiites l’aimaient. A l’instar de son père, Ghulam Farid, Amjad était devenu qawwal, c’est-à-dire chanteur de qawwali, un genre qui daterait du XIIIe siècle, et sa bonne humeur égayait ses compatriotes, et même largement l’Asie du Sud, comprenant le sous-continent indien. Les deux se situaient dans une tradition familiale remontant au XVIIe siècle avec leurs ancêtres qui se produisaient devant les empereurs moghols. Touché par cinq balles, le chanteur était décédé à son arrivée à l’hôpital le 22 juin dernier. Les autorités avaient de suite dénoncé déjà une attaque terroriste. Le lendemain, les Talibans du Pakistan revendiquaient l’attentat.

Pour certains islamistes radicaux, l’activité culturelle d’Amjad Sabri était hérétique

La police assure désormais que les deux suspects sont membres d’un groupe armé sunnite anti-chiite, Lashkar-e-Jhangvi, proche de la nébuleuse islamiste al-Qaïda, et dont une partie s’est elle liée au rival de cette dernière, l’État islamique. Le ministre en chef de la province de Sindh, Syed Murad Ali Shah, a déclaré disposer de preuves de la culpabilité des deux hommes, ajoutant qu’ils sont qu’ils auraient pris part à 28 attaques contre des militaires, des policiers et des musulmans chiites. Pour certains islamistes radicaux, l’activité culturelle d’Amjad Sabri était pécheresse, non orthodoxe selon leurs canons de l’islam. A plusieurs reprises, les mosquées et autres lieux saints des soufis ont été ciblés, et en 2010 un attentat à Lahore contre le mausolée de Data Darbar avait fait une quarantaine de morts.

La division religieuse au Pakistan jusqu’à la persécution des musulmans minoritaires

Cet assassinat par les Talibans d’une figure populaire du soufisme, dont les fidèles sont connus sous le nom de barelvis, n’est que l’une des nombreuses formes de violences frappant les diverses communautés. Mais si les soufis, majoritaires sont attaqués, ce sont surtout les diverses minorités chiites qui sont touchées dans cette violence entre musulmans. Le 4 octobre 2014, le journal pakistanais anglophone et libéral publiait un sondage concernant le sort des minorités et leur ressenti, sous le titre « L’État critiqué pour sa complicité dans la persécution des minorités ». L’article mettait en perspective le sort des petites communautés musulmanes, à côté de celui des chrétiens, des hindous et des sikhs, et relevait que les minorités musulmanes, principalement chiites qui constituent 20% de la population, y compris les Hazaras de la province du Balochistan, étaient devenues de fréquentes cibles d’attaques religieuses, et que l’inaction de l’État encourageait cette persécution.

Souvent très pauvres, les Hazaras sont méprisés dans les pays où ils vivent

Les Hazaras sont un groupe ethnique professant le chiisme duodécimain, c’est-à-dire qui croient à l’existence d’un douzième imam caché qui serait, lui, le Mahdi, le sauveur de la fin des temps. Leur origine n’est clairement définie, ils seraient de filiation afghane, et leur langue est le persan. Souvent très pauvres, ils sont méprisés dans les pays où ils vivent, mais ont su se hisser socialement au Pakistan et occupent des postes à responsabilité dans le Balochistan et au niveau fédéral. Ils sont toutefois également attaqués, et 600 d’entre eux auraient été tués pour leur religion entre 1999 et fin 2011.

D’autres chiites sont persécutés, on se souvient de l’attaque d’un bus transportant des ismaéliens, une communauté chiite moderniste, par un commando affilié à l’État islamique, en mai 2015. Les assaillants avaient tué 43 fidèles, l’un après l’autre. Ces musulmans gnostiques croient à la révélation perpétuelle et considèrent qu’il faut interpréter les textes de manière allégorique.

Les plus méprisés des chiites sont peut-être les ahmadis pour qui Mahomet n’est pas le sceau des prophètes. Une loi a été votée en 1974 déclarant qu’ils ne sont pas musulmans, et nombre d’entre eux ont fui le pays, certains se constituant même un village au Canada dans la banlieue de Toronto. Les musulmans pakistanais qui se tournent vers l’ahmadisme seraient persécutés par leurs proches, même assassinés. Fin mai 2010, des islamistes attaquèrent les ahmadis durant leur culte à Lahore et firent 86 morts. Le rejet des ahmadis aboutit même à une situation cocasse quand un juge ordonna de retirer l’épithète relatif à la religion de la tombe du physicien Abdus Salam, sur laquelle étaient gravés les mots  « Premier prix Nobel musulman » ...

On parle même de « soufislamisme ». Dans ce contexte de radicalisation croissante,

Alors que le soufisme est généralement considéré comme paisible et quiétiste, il se radicalise au Pakistan au point que le quiétisme devient piétisme fanatiquement intolérant. On parle même de « soufislamisme ». Dans ce contexte de radicalisation croissante, en 2014, la fondation shuhada avait déposé une plainte contre Amjad Sabri pour blasphème après que l’on eut détourné l’une de ses chansons pour moquer la famille de Mahomet, ce dont il s’était pourtant distancié. Témoignage de l’ouverture du chanteur, non seulement les musulmans sunnites et chiites ont pleuré sa mort,  mais aussi les autres minorités dont les chrétiens.

 

Hans-Søren Dag


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