Après les attentats, une contagion émotionnelle via les réseaux sociaux

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Twitter, Facebook, Instagram… Lors d’actes de terrorisme, ils sont désormais incontournables, pour le meilleur et pour le pire. Après Londres, Berlin, Nice, ou Bruxelles, la tuerie de Manchester a fortement impliqué les réseaux sociaux. Ainsi, moins de 24 heures après le drame, le hashtag #PrayForManchester avait déjà été utilisé plus de 60.000 fois sur Twitter. Mais, qu’en est-il de cette surconsommation de nouveaux médias ?The Conversation

Dans les jours et les semaines qui suivirent les attentats du 11 septembre 2001, les télévisions du monde entier ont relayé les images des tours jumelles percutées par des avions de ligne, ainsi que celles des nombreuses victimes de ces attentats de masse. Ce flot d’images a alors posé de façon prégnante la question des psychotraumatismes qu’elles ont pu induire. En effet, du point de vue de la psychopathologie, le premier élément qui permet de caractériser un psychotraumatisme est constitué par la confrontation, directe ou indirecte, à un événement qui met en jeu la vie, ou l’intégrité physique, de la personne ou d’une personne proche. C’est cet événement qui deviendra éventuellement le trauma, dont le souvenir est au cœur de l’ensemble des symptômes de la pathologie psychotraumatique.

La nature traumatique des images, mais aussi de la relation aux victimes font largement débat. Même si l’on estime que la proximité à la victime est un facteur de risque important, il n’existe pas à ce jour de critère clairement défini de cette proximité. De même, jusqu’en 2013, c’est-à-dire jusqu’à la parution de la nouvelle version du manuel diagnostic de l’association américaine de Psychiatrie (le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 5e édition, DSM 5), il n’existait pas d’indication de ce que peut être une confrontation indirecte à un événement potentiellement traumatisant.

Les individus parfois très éloignés des lieux des attentats ont pu développer des symptômes de stress post-traumatique après avoir vu (souvent de façon très répétée) les images du 11 septembre. Il a même été observé un accroissement de ces symptômes jusque chez les personnes âgées aux Pays-Bas. Malgré ces arguments, le groupe d’experts à l’origine de la révision des critères du DSM a estimé que les données recueillies n’étaient pas suffisamment probantes pour que les images puissent constituer en soi un déterminent de l’état de stress post-traumatique (à l’exception des images potentiellement traumatisantes vues par des policiers, agents de surveillance, etc. dans le cadre de leur activité professionnelle).

Depuis 2001, la consommation médiatique a largement évolué, notamment chez les plus jeunes. Les récents attentats survenus en Europe (le 11 mars 2004 dans un train à Madrid, le 7 juillet 2005 dans le métro de Londres, le 22 juillet 2011 à Oslo et sur l’île d’Utoya, puis encore le 14 juillet 2016 sur la Promenade des Anglais à Nice et le 22 mai 2017 à Manchester) posent désormais la question de la recherche et du partage d’informations sur Internet. Il semble d’ores et déjà avéré que les réseaux sociaux favorisent le développement de l’anxiété dans les situations de crise, en raison d’un processus de contagion émotionnelle, c’est-à-dire d’un transfert à d’autres individus de son propre état émotionnel. Ce processus pourrait être lié à la manière dont les individus régulent leurs émotions. Cette manière de s’adapter est en effet associée aux influences sociales, celles-là au cœur des réseaux sociaux.

Enquête auprès de 451 jeunes adultes

Un mois après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et à Saint-Denis, nous avons interrogé un échantillon de 451 jeunes adultes sur le temps qu’ils avaient passé à rechercher des informations sur les médias, à la fois traditionnels (télévision, radio, journaux) et numériques (sites Internet, réseaux sociaux), sur les stratégies utilisées pour faire face aux émotions ressenties et sur les éventuels symptômes dont ils pouvaient souffrir. Ceux-ci devaient aussi indiquer leur proximité physique et relationnelle aux attentats et à leurs victimes, ainsi que le fait qu’ils aient pu être déjà confrontés à un événement potentiellement traumatisant au cours de leur enfance.

Les résultats obtenus vont clairement dans le sens d’une contagion émotionnelle chez les plus grands consommateurs de réseaux sociaux dans le mois qui a suivi les attentats. Plus les individus qui ont répondu à notre enquête ont passé de temps sur ces réseaux, plus ils manifestaient un niveau d’anxiété et de dépression important (mais non de stress post-traumatique) et ce, lorsque parallèlement, ils avaient recours à des stratégies de régulation émotionnelle dites dysfonctionnelles (par exemple, le fait de garder ses sentiments enfouis, ou encore de se décharger verbalement sur les autres). En revanche, cette relation n’apparaissait aucunement pour le temps passé à regarder des informations sur les attentats à la télévision, à écouter la radio, à consulter les sites Internet ou la presse papier.

Les résultats de notre étude sont à plus d’un titre éclairants pour comprendre les conséquences de la diffusion d’informations concernant les attentats de masse. Comme cela paraît être le cas pour les images télévisées, les informations véhiculées par les réseaux sociaux ne semblent pas constituer en elles-mêmes un trauma, mais plutôt un facteur de stress qui agit sur l’humeur des jeunes adultes qui ont du mal à réguler leurs émotions. La nature des informations partagées et le mode de partage restent cependant à être encore largement explorés.

Assurément, au-delà des effets délétères que nous avons pu observer, les réseaux sociaux peuvent aussi constituer des outils extrêmement efficaces pour diffuser des messages d’alerte ou de solidarité et donc pour protéger le plus grand nombre dans les situations de crise. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit de rester vigilant aux différentes manières dont ces nouveaux outils sont utilisés dans les situations de crise et notamment à la suite d’attentats de masse.

Emmanuel Monfort, Maître de conférences en Psychologie, Université Grenoble Alpes and Mohammad H. Afzali, Chercheur post-doctoral, Département de psychiatrie , Université de Montréal

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.


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