Le gouvernement américain vient d’annoncer qu’Ayman al-Zawahiri, le chef d’Al-Qaïda et cerveau des attentats du 11 septembre 2001, a été tué par un drone à Kaboul, capitale de l’Afghanistan.
Al-Zawahiri était le successeur d’Oussama ben Laden. Sa mort permet aux familles de ceux qui ont été tués dans les attaques de 2001 de « tourner la page », a déclaré le président des États-Unis, Joe Biden, lors d’une allocution télévisée le 1er août 2022.
Cet assassinat ciblé a eu lieu près d’un an après que les troupes américaines ont quitté l’Afghanistan après des décennies de combats dans ce pays. Quel sera l’impact de l’élimination du chef d’Al-Qaïda, et que dit cette opération de la lutte antiterroriste conduite par les États-Unis en Afghanistan sous le régime des talibans ? The Conversation a demandé à Daniel Milton, expert en terrorisme à l’Académie militaire américaine de West Point, et à Haroro J. Ingram et Andrew Mines, chargés de recherche au Programme sur l’extrémisme de l’Université George Washington, d’apporter de premiers éléments de réponse à ces questions.
Qui était Ayman al-Zawahiri ?
Ayman al-Zawahiri, né en 1951 en Égypte, était devenu le principal dirigeant d’Al-Qaïda en 2011 après que l’élimination de son prédécesseur, Oussama ben Laden, dans été une opération américaine.
Au cours des dernières années précédant la mort de Ben Laden, de nombreux responsables d’Al-Qaïda avaient été tués par des frappes de drones américains au Pakistan, et Ben Laden avait rencontré de plus en plus de difficultés à exercer un contrôle réel sur le réseau mondial qu’était devenue son organisation.
En 2011, Al-Zawahiri a succédé à Ben Laden malgré une réputation mitigée. Bien qu’il ait été impliqué de longue date dans la lutte djihadiste, il était considéré par de nombreux observateurs et, aussi, par certains djihadistes comme un orateur soporifique sans qualifications religieuses officielles ni expérience sur le champ de bataille.
Nettement moins charismatique que son prédécesseur, Al-Zawahiri était connu pour sa tendance à se lancer dans de longs discours sinueux et souvent archaïques. Il a également eu du mal à se défaire des rumeurs selon lesquelles il aurait été un informateur des autorités égyptiennes lors de son séjour en prison dans son pays d’origine (1981-1984) et, comme l’a expliqué le journaliste Lawrence Wright, il a rendu compliquées les relations entre le jeune Ben Laden et le mentor de celui-ci, Abdullah Azzam.
L’influence d’Al-Zawahiri s’est encore affaiblie du fait du Printemps arabe qui a balayé l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient : Al-Qaïda est alors apparue déconnectée des événements et incapable d’exploiter efficacement le déclenchement de la guerre en Syrie et en Irak. Pour les analystes comme pour ses djihadistes, Al-Zawahiri est apparu comme le symbole d’une Al-Qaïda dépassée et rapidement éclipsée par d’autres groupes qu’elle avait autrefois aidé à s’imposer sur la scène mondiale, notamment l’État islamique.
Mais avec l’effondrement du califat du groupe État islamique en 2019, le retour au pouvoir en Afghanistan des talibans, alliés d’Al-Qaïda, et la persistance des filiales d’Al-Qaïda notamment en Afrique, certains experts affirment qu’Al-Zawahiri a guidé Al-Qaïda pendant sa période la plus difficile et que le groupe reste une menace puissante. Un haut responsable de l’administration Biden a déclaré à l’Associated Press qu’au moment de sa mort, Al-Zawahiri continuait à exercer une « direction stratégique » et était considéré comme un personnage dangereux.
Où sa mort laisse-t-elle Al-Qaïda ?
L’assassinat ou la capture des principaux chefs terroristes est un outil clé de la lutte contre le terrorisme depuis des décennies. Ces opérations permettent de retirer les chefs terroristes du champ de bataille et de provoquer les luttes de succession qui perturbent la cohésion du groupe et peuvent exposer ses vulnérabilités en matière de sécurité. Contrairement à l’État islamique, dont les pratiques de succession des dirigeants sont claires et ont été mises en œuvre à quatre reprises depuis la mort de son fondateur Abou Moussab al-Zarqaoui en 2006, celles d’Al-Qaïda sont plutôt opaques. Le successeur d’Al-Zawahiri ne sera que le troisième dirigeant du mouvement depuis sa création en 1988.
Le principal prétendant est un autre Égyptien. Ancien colonel de l’armée égyptienne et, comme Al-Zawahiri, membre du Djihad islamique égyptien, affilié à Al-Qaïda, Saif al-Adel est lié aux attentats à la bombe de 1998 contre les ambassades américaines en Tanzanie et au Kenya, qui ont fait d’Al-Qaïda une menace djihadiste mondiale. Sa réputation d’expert en explosifs et de stratège militaire lui vaut une vraie popularité au sein du mouvement Al-Qaïda. Toutefois, un certain nombre d’autres possibilités se cachent derrière Al-Adel : un récent rapport du Conseil de sécurité des Nations unies identifie plusieurs successeurs possibles.
Quoi qu’il en soit, Al-Qaïda se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Si le successeur d’Al-Zawahiri est largement reconnu comme légitime à la fois par le noyau dur d’Al-Qaïda et par ses affiliés, il pourrait contribuer à stabiliser le mouvement. Mais toute ambiguïté concernant le plan de succession d’Al-Qaïda pourrait entraîner une remise en question de l’autorité du nouveau chef, ce qui pourrait fracturer davantage le mouvement.
Tout porte à croire qu’Al-Qaïda en tant que mouvement mondial survivra à la mort d’Al-Zawahiri, tout comme elle a survécu à celle de Ben Laden. Le réseau a connu un certain nombre de succès récents. Les talibans, ses alliés de longue date, ont réussi à prendre le contrôle de l’Afghanistan avec l’aide d’Al-Qaïda dans le sous-continent indien – une filiale qui étend actuellement ses opérations au Pakistan et en Inde. Pendant ce temps, les groupes affiliés sur le continent africain – du Mali et de la région du lac Tchad à la Somalie – demeurent une menace, certains s’étendant au-delà de leurs zones d’opérations traditionnelles.
D’autres groupes affiliés, comme Al-Qaïda dans la péninsule arabique, basée au Yémen, restent fidèles au noyau dur et, selon l’équipe de surveillance des Nations unies, sont désireux de relancer des attaques à l’étranger contre les États-Unis et leurs alliés.
Le successeur d’Al-Zawahiri cherchera à conserver l’allégeance des affiliés d’Al-Qaïda afin que celle-ci continue de représenter une menace réelle.
Qu’est-ce que cette élimination nous apprend sur les opérations américaines en Afghanistan sous les talibans ?
Le retrait américain d’Afghanistan en août 2021 a suscité des interrogations quant à la capacité des États-Unis à maintenir la pression sur Al-Qaïda, l’État islamique au Khorassan et les autres djihadistes présents dans le pays.
Les responsables américains ont expliqué qu’une stratégie de surveillance de loin (« over-the-horizon ») – consistant à lancer des frappes chirurgicales et des raids d’opérations spéciales depuis l’extérieur d’un État donné – permettrait aux États-Unis de répondre à des défis tels que les préparatifs d’attaques terroristes et la résurgence de groupes armés.
Mais de nombreux experts ne sont pas de ce cet avis. Et lorsqu’une erreur de frappe d’un drone américain a tué sept enfants, un travailleur humanitaire employé par les États-Unis et d’autres civils l’automne dernier, cette stratégie a fait l’objet d’un examen approfondi.
Mais à ceux qui doutaient que les États-Unis aient encore la volonté de s’attaquer aux principaux terroristes en Afghanistan, l’assassinat d’Al-Zawahiri apporte une réponse claire. Cette frappe aurait impliqué une surveillance à long terme du leader d’Al-Qaïda et de sa famille, et des discussions approfondies au sein du gouvernement américain avant de recevoir l’approbation présidentielle. Joe Biden affirme que l’élimination d’Al-Zawahiri n’a pas fait d’autres victimes.
Il convient cependant de remarquer qu’il a fallu onze mois aux États-Unis pour frapper leur première cible de grande valeur en Afghanistan sous le régime des talibans. Cela contraste avec les centaines de frappes aériennes effectuées dans les années qui ont précédé le retrait américain d’août 2021.
La frappe a eu lieu dans un quartier de Kaboul où résident de nombreux hauts responsables talibans. La planque elle-même appartenait à un collaborateur de haut rang de Sirajuddin Haqqani, un terroriste recherché par les États-Unis et un haut dirigeant taliban.
Apporter de l’aide à Al-Zawahiri constituait une violation de l’accord de Doha de 2020, en vertu duquel les talibans avaient accepté de « ne pas coopérer avec des groupes ou des individus menaçant la sécurité des États-Unis et de leurs alliés ». Les circonstances de l’attaque suggèrent que si les États-Unis veulent mener des opérations efficaces « au-delà de l’horizon » en Afghanistan, ils ne peuvent pas compter sur le soutien des talibans.
L’élimination d’Al-Zawahiri ne nous dit pas non plus si la stratégie américaine après le retrait peut contenir d’autres groupes djihadistes dans la région, comme l’État islamique au Khorassan, qui est farouchement opposé aux talibans et à leur expansion en Afghanistan.
En effet, si un plus grand nombre de djihadistes perçoivent les talibans comme étant trop faibles pour protéger les principaux dirigeants d’Al-Qaïda et de ses affiliés, tout en étant incapables de gouverner l’Afghanistan sans l’aide des États-Unis, beaucoup d’entre eux pourraient considérer l’État islamique au Khorassan comme le meilleur choix.
Ces dynamiques, ainsi que d’autres, illustrent les nombreux défis que pose la poursuite du contre-terrorisme en Afghanistan aujourd’hui – défis qui ne seront probablement pas résolus par des frappes de drones et des assassinats occasionnels très médiatisés.
Haroro J. Ingram, Senior Research Fellow at the Program on Extremism, George Washington University; Andrew Mines, Research Fellow at the Program on Extremism, George Washington University et Daniel Milton, Director of Research, United States Military Academy West Point
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.