
Alors que le monde catholique est en deuil après l’annonce du décès du pape François, les fidèles chinois partagés entre clandestinité et Église officielle rendent hommage à un homme qui a œuvré, malgré les tensions, pour un rapprochement inédit entre Rome et Pékin.
Dans une petite église nichée dans une ruelle de la province chinoise du Hebei (nord), une dizaine de fidèles se sont réunis comme chaque semaine, quelques heures seulement après l'annonce du décès du pape François.
Le Vatican a confirmé lundi la mort à l'âge de 88 ans du souverain pontife argentin, figure marquante qui a fait l'objet de critiques virulentes de la part des traditionalistes pendant ses 12 années de pontificat. La Chine, conquise par les forces communistes en 1949, a rompu ses liens diplomatiques avec le Saint-Siège en 1951.
Les catholiques du pays, estimés à environ 12 millions, sont ainsi confrontés à un dilemme: rejoindre "l'Association patriotique catholique", contrôlée par l'Etat, ou pratiquer leur foi au sein d'églises clandestines uniquement fidèles au pape.
Mais sous le pontificat de François, un accord historique a été signé en 2018 entre Pékin et le Vatican. Ce texte permet aux deux parties de participer à la nomination des évêques. Mardi, dans la petite église du Hebei décorée de portraits bibliques et d'un Christ en croix, les fidèles en deuil ont prié et chanté ensemble.
Une étagère vitrée exposant les écrits du Parti communiste chinois et du président Xi Jinping trône à quelques pas d'une tapisserie représentant la Cène.
"C'est comme la douleur de perdre un être cher", confie Chenxing, une fidèle de 53 ans.
"Il nous a appris (...) à nous aimer les uns les autres", dit-elle, soulignant le désir constant du pape pour la paix dans le monde.
D'autres fidèles ont exprimé leur stupéfaction face à une disparition jugée "soudaine", survenue juste après son apparition publique lors des célébrations pascales.
"Il priait pour l'Eglise en Chine"
Le Vatican ne reconnaît pas Pékin diplomatiquement mais entretient des liens officiels avec Taïwan, que la Chine revendique comme faisant partie de son territoire.
Le pape François a dans ce contexte entrepris un rapprochement sans précédent avec la Chine, alimentant à Taïwan les craintes d'un abandon diplomatique. "Il a joué un rôle essentiel pour redéfinir le dialogue avec Pékin", analyse Michel Chambon, spécialiste du christianisme en Asie à l'Université nationale de Singapour.
"Pour la première fois, le gouvernement chinois a reconnu que le pape pouvait avoir son mot à dire dans la gestion des catholiques chinois", souligne-t-il.
Pour M. Wu, un fidèle d'une église souterraine de Mongolie-intérieure (nord de la Chine), cet accord représentait "une avancée majeure".
Agé de 36 ans, il se souvient d'un pape "toujours attentif". "Il priait constamment pour l'Eglise en Chine, on sentait qu'on n'était pas oublié", ajoute-t-il.
Le contenu précis de l'accord, qui n'a jamais été rendu public, a suscité des réactions contrastées. Certains y voient une emprise accrue de Pékin sur le rôle de l'Eglise en Chine, tandis que d'autres saluent un pas vers une meilleure entente. L'accord, renouvelé en 2020, 2022, puis en 2024 pour une durée de quatre ans, reste fragile.
"Est-ce que le prochain pape prolongera un tel accord temporaire?", s'interroge Wu.
"La foi n'a pas de nationalité"
La Chine pourrait figurer parmi les thèmes centraux abordés par les cardinaux réunis en conclave pour désigner le successeur de François, selon Paul Mariani, jésuite et professeur d'histoire à l'université Santa Clara.
"Le futur pape est libre de modifier ou d'annuler cet accord", souligne-t-il.
La Constitution chinoise reconnaît officiellement la "liberté de croyance religieuse", c'est-à-dire celle de croire en une religion, mais ne mentionne pas la "liberté religieuse", aux contours plus vastes.
Selon des ONG, les pratiques religieuses sont de plus en plus surveillées et restreintes, une tendance exacerbée sous la présidence de Xi Jinping.
"Le Vatican a fait de nombreuses concessions", estime Fenggang Yang, spécialiste des religions en Asie à l'Université Purdue aux Etats-Unis.
"Le Parti (communiste chinois) a vu cela comme une victoire dans sa volonté de contenir l'Eglise clandestine", estime-t-il.
Pour M. Wu, les croyants des églises souterraines n'ont aucune volonté de provoquer des divisions: "Nous cherchons simplement une foi orthodoxe et pure".
Chenxing rejette elle l'idée que le christianisme soit une influence étrangère: "Seuls ceux qui ne le connaissent pas pensent qu'il est occidental", dit-elle en parlant du Christ.
Non loin d'elle, Jingtu, un agriculteur, acquiesce: "La foi n'a pas de nationalité".
La Rédaction (avec AFP)