Les massacres se poursuivent dans ce « petit Afghanistan » au bord de la Mer Rouge.
La promesse de Joe Biden, pendant la campagne électorale, d’arrêter les ventes d’armes à ses alliés saoudiens et émiratis n’a pas été tenue. Le 17 janvier, les rebelles houthis ont frappé les Émirats-Arabes-Unis au cœur : des drones ont touché des camions remplis de kérosène près de l’aéroport international d’Abu Dhabi, faisant 3 morts. L’impact a été immédiat sur les cours du pétrole et ce coup d’éclat a été suivi par une riposte sanglante. Les alliés émiratis et saoudiens ont bombardé à deux reprises le Yémen – touchant d’abord un stade de football puis une prison pleine de migrants africains (au moins 80 morts). Ces derniers événements remettent en lumière ce conflit que les Occidentaux, grands pourvoyeurs d’armes aux richissimes Saoudiens et Émiratis, voudraient laisser dans l’ombre. Ils dévoilent aussi l’implication des Émiratis dans ce conflit, souligne Doug Bandow, ancien conseiller de l’administration Reagan, pour The American Conservative (voir son article en lien).
Il y a 7 ans, Riyadh et Abu Dhabi se sont alliés pour remettre au pouvoir le Président Hadi, chassé par la rébellion des Houthis. La guerre ne devait durer que quelques semaines. Mais les légions de mercenaires (des Soudanais principalement) soutenues par des armements de pointe ont essuyé un échec humiliant. Le mouvement rebelle Ansar Allah, de l’ethnie montagnarde des Houthis, faisait la guerre depuis une décennie au gouvernement du Président Saleh. Ce dernier fut chassé lors du « Printemps arabe » mais, péripétie montrant la complexité du pays, il s’est entendu avec ses anciens ennemis pour reprendre la capitale Sanaa fin 2014. Le conflit restait alors interne à ce pays pauvre. Mais les dirigeants saoudiens et émiratis ont vu une occasion de faire revenir le Président déchu, qui deviendrait leur obligé, avec l’assentiment de la communauté internationale. Les Américains pensaient gagner l’appui de ses alliés sur le « deal » nucléaire proposé aux Iraniens. Rien ne s’est passé comme prévu et cela a permis à Téhéran de gagner en influence chez les rebelles.
Les crimes de guerre commis par la coalition, entre raids aériens et blocus maritime, sont indéniables. L’UNICEF estime que près de 2,6 millions d’enfants vivent dans des camps de fortune, sans accès à l’aide médicale ni école. L’approvisionnement en eau potable est chaotique. Le PIB du pays s’est écroulé de 40% depuis 2015 et 21 millions de personnes (dont près de 11 millions d’enfants) dépendent de l’aide humanitaire pour survivre. Cette situation ne semble pas avoir gêné l’administration américaine, que ce soit sous Obama, Trump, ou Biden…
Avant son retrait officiel des combats au sol en 2019, Abu Dhabi avait des alliés dans le sud Yémen. Mélange hétéroclite de salafistes et de séparatistes sudistes, les miliciens soutenus par les Émirats se sont même battus par moment contre ceux soutenus par Riyadh. Les Émiratis ont poursuivi une stratégie particulière : favoriser le séparatisme du Sud. Ils ont occupé l’île stratégique de Socotra et Al Qaeda a profité d’armes américaines par leur intermédiaire. Après la frappe sur son sol, Abu Dhabi a crié à l’injustice en précisant que ses activités militaires au Yémen appartenaient au passé. Les Houthis dénoncent pourtant le retour d’Émiratis dans la province méridionale de Shabwa et ont annoncé qu’ils répéteraient leurs frappes tant qu’ils y resteraient.
Quelles sont les conséquences possibles de ces dernières attaques meurtrières ? Le pire scénario serait un réengagement des Émiratis aux côtés des Saoudiens avec l’appui américain. Les rebelles lanceraient alors de nouveaux missiles sur les Émirats avec un soutien renforcé des Iraniens. Ils menacent d’ailleurs de viser Israël… Mais la voix de la raison pourrait prévaloir : il est temps pour la coalition de trouver une sortie honorable et les Émiratis n’ont surtout pas envie de voir Dubaï, leur vitrine scintillante pour le monde, visée par des tirs. La brutalité des Houthis est connue, et leur coup d’État a été condamné par l’ONU. Mais ils sont acculés à une lutte à mort puisque les Saoudiens exigent leur reddition avant tous pourparlers. Il appartient à la coalition de prendre l’initiative, et de laisser les Yéménites régler leurs propres affaires, préconise Bandow. Cette guerre est une affaire juteuse et Joe Biden doit tenir sa parole de faire cesser le conflit. Il détient les leviers : Riyadh a besoin de Washington pour sa sécurité.
Même à Riyadh, Mohammed ben Salmane semble vouloir arrêter le massacre, à la suite du retrait partiel de son allié. Il manque juste un peu de courage politique du côté américain pour convaincre ses alliés. Cela permettrait une désescalade des tensions avec l’Iran qui préfèrerait renouer le dialogue à une fuite en avant aux côtés des Houthis. Surtout, cela sauverait des millions de civils innocents, les victimes oubliées d’un conflit qu’on préfère ignorer.
Ludovic Lavaucelle
Source : The American Conservative
Cet article est publié à partir de La Sélection du Jour.