L’épidémie de Covid-19 a fait émerger bon nombre de questions autour de la nutrition.
D’abord, naturellement, avec le confinement et ses répercussions sur notre hygiène de vie et nos habitudes alimentaires.Ensuite, par les questions légitimes sur les risques de contamination lors de l’achat de produits alimentaires étant passés entre de nombreuses mains.
Enfin, chacun s’est interrogé sur les moyens nutritionnels permettant de prévenir ou combattre l’infection. Quel constat peut-on aujourd’hui en tirer ? Et quelles questions restent sans réponses ?
Confinement et prise de poids
Dans une enquête de l’IFOP publiée dans Darwin Nutrition et menée auprès de 3 045 Français, la majorité (57 %) des participants disaient avoir pris du poids lors du premier confinement imposé à la population. Or au vu d’une autre enquête conduite sur un millier de Polonais, les personnes obèses en ont davantage souffert. Et de notre côté, le questionnaire du programme CoviDIAB auquel ont répondu 5280 personnes diabétiques nous a appris qu’un quart d’entre elles avait pris du poids en mars dernier.
Les données de NutriNet-Santé, qui portent sur une cohorte de 37 000 personnes, vont peu ou prou dans le même sens : si 35 % des participants ont pris du poids pendant le premier confinement, 23 % en ont perdu. Le gain pondéral s’explique en partie par une modification des habitudes alimentaires, avec un apport énergétique plus important, une moindre consommation de produits frais (fruits et poisson), le grignotage d’aliments sucrés, gras et salés, et l’augmentation de la consommation d’alcool. Mais il a aussi pour cause une baisse de l’activité physique, notée chez 53 % des participants, ce qui a pu aggraver les problèmes d’obésité.
Point positif : l’enquête IFOP révèle qu’à l’issue du confinement, plus de la moitié des personnes interrogées (56 %) souhaitaient manger plus sain et équilibré, sans pour autant se soumettre à un régime strict. Et de fait, 20 à 30 % des Français semblent avoir adopté une meilleure hygiène diététique.
Sécurité alimentaire et Covid-19
Bien-sûr, l’une des premières préoccupations fut d’abord de limiter le risque de contracter la Covid-19 au travers des aliments et/ou de leurs emballages. Une inquiétude qui reste de mise à la veille du traditionnel repas de Noël et des fêtes de fin d’année. Que sait-on des possibilités de contamination ?
S’ils sont présents sur des aliments entreposés dans le réfrigérateur à 4 °C, les coronavirus peuvent rester vivants pendant un laps de temps de 72h. Dans l’eau, ces virus sont capables de survivre jusqu’à 10 jours à 23 °C, et plus d’un an à 4 °C. Et sur des surfaces comme le verre, le métal ou le plastique, ils peuvent rester vivants pendant 9 jours. Enfin, on sait que le SARS-CoV-2 est inactivé aux températures de cuisson habituelles (70 °C), et qu’il est également très sensible aux détergents et désinfectants : le sel, le poivre, le vinaigre et le jus de citron n’ont en revanche aucun effet.
Pour l’heure, aucune donnée scientifique ne suggère que le SARS-CoV-2 puisse nous infecter par voie digestive. Mais on ne peut pas totalement exclure la possibilité d’une contamination des voies respiratoires lors de la mastication d’un aliment infecté. Et par principe de précaution, les autorités de santé ont donc émis un certain nombre de recommandations.
Ainsi, l’OMS et l’ANSES recommandent de se laver les mains régulièrement, notamment après avoir fait ses courses, avant de cuisiner et de se mettre à table. Il est également conseillé de rincer les fruits et les légumes à l’eau, de retirer les emballages inutiles, et de nettoyer plus fréquemment le réfrigérateur.
A l’inverse, il est contre-indiqué de désinfecter aliments et emballages avec de l’eau de javel ou un détergent : faute d’un rinçage suffisant, on s’expose alors au risque d’intoxication. Enfin, à ces conseils, devraient enfin s’ajouter ceux visant à limiter les risques de toxi-infection alimentaire : il s’agit de veiller aux dates de péremption et aux conditions de conservation des aliments, ou encore à leur température de cuisson. Quid des moyens de renforcer ses défenses contre le SARS-CoV-2 en s’appuyant sur l’alimentation ?
Le meilleur régime à adopter…
Beaucoup se sont posé et se posent toujours la question du meilleur régime à adopter pour renforcer ses défenses immunitaires. Or si des études ont bel et bien établi l’existence de liens entre alimentation, nutriments, et immunité, il n’existe pas à ce jour de « régime boosteur de l’immunité ».
À ce sujet, notons que les vitamines jouent un rôle de premier plan dans l’inconscient collectif. On les considère souvent comme l’exemple même de micronutriments aptes à nous prémunir contre la fatigue et les infections. Et les vitamines D, C ou A sont d’ailleurs souvent proposées sous forme de compléments alimentaires. Doit-on pour autant les recommander pour lutter contre la Covid-19 ?
Vitamine D : la plus médiatisée
La vitamine D est depuis le début de la pandémie la plus médiatisée de ces micronutriments, et la question de l’intérêt d’une complémentation systématique de la population reste posée.
Cette vitamine a pour partie une origine alimentaire et se trouve principalement dans les poissons gras (hareng, saumon, sardine et maquereau) et les laitages enrichis. Mais elle est aussi synthétisée par l’organisme, sous l’influence de l’exposition au soleil.
On sait, par des études épidémiologiques, qu’il existe une relation entre de faibles concentrations plasmatiques en vitamine D et le risque d’infections voire d’hospitalisation pour Covid-19. Cette vitamine s’est aussi révélée avoir un rôle immuno-modulateur lors de recherches menées sur des cultures cellulaires, en facilitant la réponse immunitaire innée. Et chez l’animal, une carence en vitamine D augmente le risque d’apparition de maladies auto-immunes, d’événements cardiovasculaires ou d’infections. Reste que chez l’homme, les études sont moins convaincantes.
En pratique, il n’est donc pas recommandé de complémenter en vitamine D des patients présentant une infection, une maladie auto-immune ou une maladie cardiovasculaire. Mais il n’est pas irrationnel pour un médecin de le proposer à ses patients, en particulier en période hivernale et de confinement, lorsque l’exposition au soleil est réduite et notre synthèse naturelle de vitamine D diminuée.
Vitamine C : des données à confirmer
Les effets bénéfiques de la vitamine C sur les infections respiratoires ont longtemps été débattus. Quelques études suggèrent qu’elle pourrait réduire leur survenue, leur durée et leur sévérité en étant ingérée sous forme de compléments alimentaires. Mais ces données n’ont pas été confirmées, et il n’est donc pas recommandé de supplémenter la population générale pour prévenir ou traiter une infection.
Ceci étant, pour la majorité de la population, les apports en vitamine C sont inférieurs aux recommandations. Et cela justifie de promouvoir la consommation d’aliments qui en renferment d’importantes quantités : certains fruits (agrumes, fruits rouges) et légumes (choux, poivron, radis noir) constituent à cet égard des sources d’apports à privilégier.
Vitamine A : recommandée dans certains cas
Des compléments de vitamine A peuvent s’avérer bénéfiques chez les enfants. D’abord, en potentialisant l’effet de certains vaccins contre le tétanos et la rougeole, comme semble le montrer une étude. Ensuite, en étant associés à un risque moindre de morbidités et de mortalité en cas de rougeole, de diarrhées sévères, d’infection par le VIH ou de paludisme.
L’OMS préconise donc d’en apporter aux enfants âgés de 6 mois à cinq ans, dans les pays où la carence en vitamine A constitue un problème de santé publique. Mais la France ne fait pas partie de ces pays à risque : il n’y a donc pas lieu de donner systématiquement de la vitamine A aux enfants. Et de manière générale il n’y a aucun argument pour la proposer en dehors de situations de carences objectivées, d’autant qu’elle peut se révéler délétère chez la femme enceinte.
Notons en revanche qu’une alimentation équilibrée comporte en principe des aliments riches en caroténoïdes tels que les carottes, épinards ou le potimarron, dont la consommation mérite d’être encouragée dès qu’il s’agit de légumes de saison.
Quid d’autres micronutriments ?
D’autres vitamines et oligo-éléments semblent avoir un lien avec l’immunité, en particulier les vitamines B, mais aussi le zinc, le fer, le magnésium et le sélénium. Mais il n’a jamais été démontré que l’apport de ces micronutriments par le biais de compléments réduit le risque infectieux.
Les acides aminés, que l’on trouve dans les viandes, poissons, œufs, produits céréaliers et légumineuses, semblent aussi moduler le système immunitaire via divers mécanismes lorsqu’ils sont apportés sous forme de compléments protéiques. Par exemple, une étude conduite en 2011 a montré qu’une complémentation en acides aminés est associée à un moindre risque d’infections chez les personnes âgées.
Des aliments pour renforcer l’immunité ?
D’après des études menées in vitro (sur des cultures cellulaires) et in vivo (sur un organisme vivant) chez l’animal, le poisson, riche en acides gras de la famille oméga-3 et en sélénium, aurait des propriétés anti-inflammatoires et antioxydantes. À ce titre, il pourrait s’avérer bénéfique dans les infections et dans la réponse aux vaccins. Mais pour l’heure, on ne dispose d’aucune preuve quant à l’impact d’une consommation importante de poisson sur le système immunitaire d’un être humain.
Le lait de vache présente également des propriétés anti-inflammatoires in vitro. Et il semble que les anticorps bovins qu’il renferme, restant actifs après qu’on les ait digérés, puissent aider à lutter contre certaines infections – notamment les otites et les rhinopharyngites chez l’enfant.
Enfin, il est possible que les fruits et légumes riches en vitamines et en oligo-éléments puissent avoir un effet protecteur contre les infections respiratoires : il fut par exemple décrit une association entre une moindre fréquence d’infections et une consommation importante en fruits et légumes chez les femmes enceintes.
Gare aux surdosages
Au bilan, si certains aliments sont potentiellement bénéfiques pour les défenses immunitaires, on ne sait rien de l’intérêt des uns par rapport aux autres en termes quantitatifs. Et de fait, les recommandations nutritionnelles édictées par l’ANSES pour l’ensemble de la population semblent parfaitement adaptées pour profiter au mieux des effets anti-infectieux des aliments.
À l’exception peut-être de la vitamine D, notamment en période hivernale, le recours aux compléments alimentaires ne parait donc pas justifié. De plus, il convient de rappeler que n’étant pas considérés comme des médicaments, ces compléments délivrés sans ordonnance ne sont pas soumis aux mêmes réglementations et exposent ceux qui en usent à des risques d’intoxication et de complications.
Ainsi, la prise quotidienne de 100 000 UI de vitamine Dpendant 1 mois (1 µg équivaut à 40 UI) expose à un risque d’hypercalcémie et d’insuffisance rénale. De même, une surconsommation de vitamine A (avec plus de 10 000 UI/jour) peut exposer à un risque d’ostéoporose et de fractures, mais aussi de malformations fœtales en cas de grossesse.
Pareillement, de hautes doses de vitamine C (1 000 mg/jour et plus) semblent être toxiques chez les sportifs, entraînant une réductionde leurs performances physiques, et des calculs rénaux chez les personnesprédisposées. Enfin, la toxicité de deux acides aminés pris en excès a été rapportée par la littérature : une prise chronique d’arginine accentue la mortalité chez les patients ayant subit un infarctus du myocarde ; une complémentation en méthioninepeut exacerber les symptômes des patients schizophrènes, augmenter le risque d’accident cardiovasculaire et entraîner un retard de croissance chez les enfants.
Pour aller plus loin :
- NUTRIcovid , une application pour mieux se nourrir
Dans le contexte de la pandémie, l’AP-HP, en partenariat avec PuMS, la chaine santé de l’Université de Paris/AP-HP, ont mis en place NUTRIcovid, un programme national d’information, de prévention et d’accompagnement nutritionnel accessible sur Internet. Les utilisateurs ont accès à une médiathèque mise à jour quotidiennement. Ils peuvent également suivre pendant 10 semaines un programme d’e-coaching fondé sur la notion de « nutrition positive », plutôt que sur des principes de restriction. Des vidéos interactives et en direct sont également proposées avec des scientifiques, des médecins ou des diététiciens de l’AP-HP, de l’Université de Paris et de l’Inserm.
Pour y participer, inscrivez-vous sur nutri-covid.fr.
Cet article a été écrit en partenariat avec le site de la chaîne santé de l’université de Paris pums.fr.
Boris Hansel, Médecin, Professeur des universités- Praticien hospitalier, Inserm U1148, Faculté de Santé, Université de Paris; Diana Kadouch, Praticien Hospitalier, Hôpital Bichat, Service de Diabétologie-Nutrition, AP-HP, Chargée de cours au sein du DU de nutrition, Université de Paris; Jérémy Puyraimond-Zemmour, Assistant spécialiste, Service de Diabétologie-Nutrition, Hôpital Bichat, AP-HP, Chargé de cours au sein du DU de nutrition, Université de Paris et Luc Cynober, Praticien Hospitalier et Chef du Service de Biochimie inter-hospitalier Cochin-Hôtel-Dieu, AP-HP, Université de Paris
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.