Affaire du portrait de Mahomet : la présidente de l’université chrétienne méthodiste Hamline annonce sa retraite

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L’affaire avait fait grand bruit à travers le monde sur fond d’inclusivité, l’université méthodiste Hamline avait choisi, fin 2022, de se séparer d’un professeur qui avait montré une peinture représentant le prophète des musulmans Mahomet et l’ange Gabriel. Fortement critiquée pour avoir minimisé la liberté académique, Fayneese Miller vient d’annoncer qu’elle quitterait la présidence de l’université l’an prochain.

Le 6 octobre dernier, Erika López Prater, professeur associé de la petite université d’arts libéraux à Saint-Paul dans le Minnesota, avait montré aux étudiants une peinture représentant l’ange Gabriel et le prophète Mahomet. Il s’agissait d’un cours sur un "Compendium des chroniques" écrit par Rachid al-Din au XIVe siècle et qui contient les premières illustrations islamiques.

Le cours se déroulant à distance, le professeur avait prévenu les étudiants qu’ils n’étaient pas tenus d’assister à l’entièreté de la diffusion, afin de ne pas heurter les sentiments de ceux pour qui toute représentation de Mahomet est interdite. Elle leur avait déjà dit en présentant le syllabus du programme à la rentrée qu’ils pouvaient la contacter si des éléments du cours les gênaient.

En dépit de ces précautions, une étudiante musulmane soudanaise, Aram Wedatalla, a suivi tout le cours avant de s’en plaindre dans le journal de l’université, The Oracle, de ne pas se sentir respectée en tant que femme noire et musulmane.

Wedatalla, présidente de l’Association des étudiants musulmans de Hamline, a même organisé, en janvier, une conférence de presse organisée avec une association islamique, le CAIR-Minnesota (branche locale du Conseil des relations américano-islamiques). Elle a alors déclaré :

"J’ai été extrêmement blessée par ce qu’a fait ce professeur et je ne pouvais plus jamais me résoudre à revenir dans cette classe. Ma voix n’a pas été entendue du tout, et je me suis sentie ignorée, rabaissée." 

L’étudiante a ajouté que, lorsqu’elle avait parlé de ses soucis à la direction de l’université, elle s’était sentie respectée. Les responsables de Hamline avaient choisi de supprimer le cours de López Prater du semestre suivant.

Selon le New York Times du 8 janvier qui a consacré un long article au sujet, le vice-président en charge de l’excellence inclusive de l’université, David Everett, avait envoyé aux employés un courriel qualifiant les éléments contestés du cours comme "indéniablement inconsidérés, irrespectueux et islamophobes". De son côté, la présidente, Miller, avait co-signé un e-mail disant que le respect dû aux étudiants musulmans "aurait dû avoir la priorité sur la liberté académique".

Critique de la primauté de la sensibilité des étudiants sur la liberté académique

La réaction des autorités de Hamline avait provoqué de forts remous dans les milieux universitaires et médiatiques aux États-Unis. Parmi les critiques, celle de Christiane Gruber avait fortement compté. Professeur d’art islamique à l’Université du Michigan, Gruber avait écrit un article dans New Lines Magazine, fin décembre, soulignant que López Prater n’a jamais pu s’exprimer pour expliquer son cours afin de se défendre.

Elle relève que l’article d’un professeur de religion, spécialiste de l’islam, qui contextualisait le cours donné par sa collègue, a été supprimé deux jours après sa parution sur The Oracle. Gruber souligne que ce chef-d’œuvre de la peinture manuscrite persane est enseigné même dans des universités du monde musulman, et qu’il "été réalisé pour exalter la prophétie de Mahomet […], ce qui en fait une entreprise artistique islamophile" et non islamophobe.

Le magazine The Dispatch avait publié un article disant que Hamline avait "ait une offre audacieuse pour être le nouveau porte-drapeau des universités voulant oublier les principes de liberté académique et de libre expression", mais qu’elle se distinguait des autres universités par sa volonté d’être aussi explicite dans ce choix. En raison de ce choix, l’université Hamline est susceptible de perdre son accréditation, car elle s’est engagée auprès de la Commission de l’enseignement supérieur à "respecter la liberté académique et la liberté d’expression dans la poursuite de la vérité dans l’enseignement et l’apprentissage".

Une présidente de plus en plus contestée

Le site de Hamline annonce que Miller partira le 30 juin 2024, mais sans mentionner cette polémique. L’article souligne que la présidente "a bâti la réputation de l’université en tant qu’institution qui accueille des étudiants d’horizons divers, y compris des étudiants de couleur, des étudiants LGBTQ+". Il cite les mots de la dirigeante pour qui "ce fut un honneur et un privilège de diriger l'Université Hamline, une institution qui valorise la justice sociale, l'équité, l'inclusion et l'engagement civique".

L’annonce du départ prévu de Miller survient après le dépôt d’une plainte en janvier déposée par López Prater dont les avocats observent que "les actions et déclarations de Hamline sont susceptibles d’être constitutifs d’une discrimination religieuse, de relever de la diffamation et d’autres atteintes à la loi".

La forte médiatisation de l’affaire fait que désormais son nom est lié à une allégation d’islamophobie, expliquent-ils en ajoutant que cela nuit à sa recherche d’emploi. L’un des avocats a déclaré à KMSP, l’antenne locale de Fox News, que la vie de l’enseignante a été si perturbée qu’il semble qu’elle ait "eu l’impression d’être la folle et que tout le monde voyait quelque chose qu’elle n’avait pas compris".

Une semaine plus tard, la faculté a demandé à son administratrice de démissionner :

"Nous contestons les accusations sans fondement d’islamophobie et nous n’avons plus confiance dans la capacité de la présidente Miller à diriger l’université. Il y a eu une crise sur le campus, et elle a été vue par le monde entier."

Les professeurs ont souligné que la plus ancienne université du Minnesota avait "une grande tradition de dirigeants, de personnes engagées" et qu’ils croient qu’une nouvelle direction est nécessaire pour "restaurer cette réputation".

La décision de se séparer de López Prater était d’autant plus incompréhensible que le professeur avait été recruté afin d’enseigner sur l’importance de l’art comme expression culturelle à travers le temps et dans une perspective globale. L’angle choisi devait permettre d'aborder les sujets religieux dans un but de meilleure compréhension mutuelle, et il n’y avait aucune preuve que l’enseignant s’était comporté de façon non professionnelle ou avait utilisé un matériel pédagogique non pertinent pour ce sujet.

Jean Sarpédon

Crédit image : Creative Commons/ Flickr

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