« Abus de Foi » : Un nouveau rapport révèle les abus sexuels perpétrés sur 700 victimes par 380 pasteurs et leaders

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« En 20 ans, 380 leaders et volontaires de la Southern Baptist Church (SBC), [fédération d’église américaine regroupant environ 15 millions de membres], ont fait face à des accusations d’inconduites sexuelles. Ils étaient pasteurs, diacres, en responsabilité. Ils ont laissé derrière eux 700 victimes. »

Telle est la présentation de la première partie d’un rapport qui en comptera trois, rédigé sous l’impulsion du Houston Chronicle et du San Antonio Express News. Une médiatisation qui fait grand bruit outre-Atlantique, et à laquelle August Boto, avocat général et président par intérim du comité exécutif de la SBC, et Roger Oldham, vice-président de la communication et des relations, ont accepté de répondre dans un entretien de 90 minutes avec les journalistes Robert Downen et John Tedesco, qui sont, avec Lise Olsen, à l’initiative de la publication du rapport.

Et contre toute attente, la réaction de ces deux hommes occupant des postes importants dans la fédération, n’est pas hostile. Ils ne nient pas, et ne cherchent pas à se soustraire à leurs responsabilités. August Boto déclare :

« Ma réaction initiale a été la colère [...] La colère que cela (les abus) soit arrivé [...] Abuser des personnes vulnérables est ce que font les criminels. Et lorsque cela se produit, notre travail consiste à le dire. Pas à le cacher. »

J.D. Greear est pasteur de The Summit Church et le 62ème président de la SBC. Il a quant à lui déclaré sur Twitter, « pleurer avec ceux qui pleurent ». Il qualifie les abus décrits dans le rapport comme le « pur mal ».

Ne pas cacher, ne pas taire, révéler. C’est bien ce qu’ont souhaité faire les trois journalistes, au travers de leur enquête intitulée, Abuse of Faith, Abus de Foi en français.

En 2007, les victimes d’abus sexuels commis par des pasteurs baptistes du Sud ont demandé la création d’un registre contenant les noms des anciens et actuels dirigeants d’églises baptistes du Sud condamnés pour des crimes sexuels ou accusés de manière crédible. Mais cela n’a pas eu lieu.

En 2018, le Houston Chronicle a commencé à rechercher dans les archives de journaux, les sites web et les bases de données à travers le pays afin de constituer une archive des allégations d’abus sexuels, d’agressions sexuelles et d’autres fautes graves impliquant des pasteurs baptistes du Sud et d’autres membres d’églises.

« Nous avons trouvé des plaintes déposées contre des centaines de pasteurs, de responsables d’églises et de bénévoles dans des églises baptistes du Sud dans tout le pays. Nous avons concentré nos recherches sur les 10 années précédant le premier appel des victimes à un registre et sur les 10 années écoulées depuis [...] Nous avons vérifié des détails de centaines de témoignages d’abus en examinant des bases de données de tribunaux fédéraux et d’État, des registres de prisons et des documents officiels de plus de 20 États, ainsi qu’en effectuant des recherches dans les registres des délinquants sexuels à l’échelle nationale. Au Texas, nous avons visité plus d’une douzaine de palais de justice de comté. Nous avons interrogé des procureurs et des policiers dans plus de 40 comtés du Texas. Nous avons déposé des dizaines de demandes de documents publics au Texas et dans tout le pays. »

Les enquêteurs ont ainsi compilé des informations sur 380 personnes mises en cause par des victimes dans des églises baptistes du Sud, y compris des pasteurs, des diacres, des professeurs d’école du dimanche et des volontaires. Parmi eux, 220 ont été condamnés par la justice, des dizaines d’autres ont été accusés de manière crédible ou poursuivis civilement.

Près de 100 personnes sont toujours détenues dans des prisons allant du comté de Sacramento, en Californie, au comté de Hillsborough, en Floride, selon les registres de l’État et du gouvernement fédéral. Plus de 100 sont des délinquants sexuels enregistrés. Certains travailleraient encore dans les églises baptistes du sud aujourd’hui.

Les victimes sont de tous horizons et de tous âges. Certaines ont été agressées à l’église, dans les salles de classe de l’école du dimanche ou dans les bureaux. Certaines sont immédiatement allées voir la direction de l’église, où leurs accusations ont été accueillies avec scepticisme ou incrédulité absolue. Certaines ont mis beaucoup de temps à se manifester, craignant des répercussions ou ne comprenant pas tout à fait ce qu’il s’était passé. Certaines ont été invitées à pardonner à leurs agresseurs et à « passer à autre chose ». D’autres ont été encouragées à se faire avorter. Beaucoup critiquent encore les dirigeants de l’église pour avoir mal géré ou dissimulé leurs plaintes.

Une victime d’abus sexuel a même déclaré qu’il ne parvenait pas à pardonner aux dirigeants qui avaient alors offert de prier, sans prendre la mesure du drame qui se jouait.

« C’est la plus grande tragédie de toutes. La foi de tant de gens est assassinée. Je veux dire, leur foi est massacrée par ces prédateurs. »

Certaines victimes ont par ailleurs mis en cause les autorités des églises, qui ont trop souvent fait le choix du silence, voire même de la protection du coupable.

Face aux abus sexuels, les pasteurs et dirigeants d’église font parfois passer la rédemption - véritable ou supposée - du coupable, avant la justice. Une demande de pardon ou une reconnaissance de faute, pousse parfois les pasteurs à taire et même à couvrir les faits.

Pour August Boto, lui-même au coeur de la tourmente compte-tenu de ses fonctions, c’est une erreur de penser ainsi. La pitié, la demande de pardon ne peuvent se substituer à la justice.

« Le crime est un crime et doit être traité comme un crime. Parce que c’est ce que c’est. Ainsi, les rapports aux forces de l’ordre devraient être immédiats [...] Les croyants de toutes sortes arrivent parfois à la conclusion que la miséricorde doit préempter la justice. La Bible dit que ces deux choses ne sont pas mutuellement exclusives. Elles coexistent dans le caractère même de Dieu. Je crains que parfois les gens optent pour la miséricorde au détriment de la justice, alors que justice est corrective. La justice est la technique de Dieu pour faire face au péché. Donc je suis entièrement favorable à la pitié. Mais elle ne devrait pas exclure la justice. En fait, cela ne devrait pas précéder la justice. »

En conclusion de son entretien, August Boto a finalement déclaré aux auteurs du rapport :

« Vous n’êtes pas mon adversaire. Vous n’êtes pas l’adversaire de la Southern Baptist Convention dans vos reportages. Vous nous aidez. Je suis entièrement favorable à mettre en lumière le crime. »

Une histoire qui en rappelle d’autres bien sûr, dans d’autres familles d’églises, et qui doit pousser chaque personne, qu’elle soit victime ou témoin d’abus sexuel, à réclamer justice et réparation.

H.L.

Image : Capture d’écran Chronicle Houston


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