Cinq ans et demi après la catastrophe de Fukushima et l’évacuation de milliers de japonais autour de la centrale nucléaire, les évêques japonais réitèrent leur appel à abandonner l’énergie nucléaire afin de préserver la « maison commune » notre Terre. Pour eux, les énergies renouvelables et une vie plus simple basée sur les évangiles doivent conduire à un arrêt total de l’énergie nucléaire.
Le Japon a la particularité d’être le seul pays à avoir été touché par deux bombes nucléaires utilisées comme arme de destruction et de dissuasion durant la seconde guerre mondiale, les 6 et 9 août 1945 à Hiroshima et à Nagasaki. L’épicentre de l’explosion à Hiroshima avait atteint le quartier catholique de la ville. Cette histoire tragique du Japon est comme un détonateur qui doit aboutir à un devoir de questionnement et de responsabilisation, surtout après les accidents nucléaires successifs de Three Miles Island (1979), Tchernobyl (1986) et Fukushima (2011).
L’engagement de l’Eglise catholique du Japon
L’engagement de l’Eglise catholique du Japon – qui rassemble une petite minorité de 0,4 % la population – en faveur de l’arrêt des centrales nucléaires est bien antérieur à l’accident consécutif au tremblement de terre et au tsunami du 11 mars 2011. La Commission “Justice et Paix” de l’épiscopat se prononçait déjà afin d’abandonner l’énergie nucléaire et développer des sources d’énergie alternatives en 1999 puis en 2001. En novembre 2011, lors de leur assemblée plénière, les évêques japonais appelaient leur gouvernement à fermer sans délai les centrales nucléaires du pays.
Complexité du démantèlement et terres abandonnées
La complexité du démantèlement de la centrale de Fukushima, qui fuit toujours 5 ans et demi après l’accident, son coût encore inconnu et prohibitif, les conséquences sur la population évacuée, les terres abandonnées pour des décennies alors que le Japon est une petite île, etc. sont autant d’éléments factuels de raisonnement poussant à abandonner cette énergie. Compte tenu de ces éléments et de la particularité géographique du Japon d’être dans un zone sismique intense, les évêques japonais renouvellent leur appel de novembre 2011, à fermer les centrales japonaises et abandonner l’énergie nucléaire à l’échelle mondiale.
« Aujourd’hui encore des Japonais souffrent des conséquences de la catastrophe [de Fukushima]. Alors que nous ne savons pas comment éliminer totalement les déchets nucléaires, le gouvernement japonais a commencé à réactiver certains des 48 réacteurs nucléaires, fermés après cette tragédie, sous prétexte qu’ils sont sécurisés. (…)”
Ce même jour, le 11 novembre 2016, le gouvernement japonais, décidé à relancer l’industrie nucléaire, signait un accord avec l’Inde, autorisant les entreprises japonaises à exporter la technologie nucléaire en Inde. Vu les souffrances endurées historiquement par les japonais, les évêques soulignaient que « nous [japonais] avons une responsabilité particulière à être solidaires envers tous ceux qui souffrent du nucléaire. » Leur texte continue en appelant au désarmement nucléaire total. Et afin d’avoir une portée mondiale, cet appel a été traduit en anglais, en coréen et en allemand.
Dans leur texte, les évêques insistent aussi sur le devenir des déchets nucléaires dangereux qui posent des questions éthiques, appelant les citoyens à reconsidérer cette question. Ils citent l’encyclique du pape François, Laudato Si, sur la sauvegarde de la création, en rappelant que la « maison commune » doit être protégée.
« Le développement et la recherche dans le domaine des énergies renouvelables, combinés à une baisse de notre consommation d’énergie, nous permettraient de remplacer progressivement notre production d’énergie nucléaire, en recherchant un mode de vie simple, axé sur l’esprit de pauvreté, tel que les évangiles nous y invitent.»
En 2001, leur 1er appel avait peu de chances d’être entendu au Japon
En 2001, leur 1er appel avait peu de chances d’être entendu au Japon. Après la catastrophe de Fukushima, des questions ont été soulevées sur la sécurité des centrales. Au Japon toutes les centrales avaient été mises à l’arrêt. Dans le monde les centrales ont dû « sécuriser » leur fonctionnement face à un tremblement de terre et les ingénieurs doivent réfléchir aussi aux conséquences du réchauffement climatique. En France, 21 centrales sur 58 ont été arrêtés cet automne 2016 à cause d’anomalies soit plus d’1 réacteur sur 3 à l’arrêt. La « foi » de certains dans le nucléaire ne nous a pas préservé et ne nous préservera pas d’accidents futurs, ni de la gestion durant des millénaires des déchets nucléaires. Aujourd’hui la foi de ces évêques catholiques dépassera les frontières du Japon en rappelant le message universel de protéger la Terre et l’appel de dépasser les enjeux et les intérêts à court terme du nucléaire.
« Nous devons reconsidérer notre mode de vie et notre manière de consommer, mettre en valeur la dignité humaine et approfondir nos relations à Dieu, la société et la nature. Chaque citoyen du monde a une part de responsabilité et de solidarité à avoir dans la préservation de l’environnement et dans la protection de la vie dans son ensemble, qui est l’œuvre de Dieu. »
Nathanaël Bechdolff
Écoutez le podcast : Les évêques japonais et le nucléaire civil