À Mayotte, la lutte contre l’immigration affecte l’accès aux soins des femmes sans papiers

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En août 2022, Gérard Darmanin annonce que le droit de la nationalité sera à nouveau modifié à Mayotte, après une première réforme historique en 2018 qui est venue fragmenter le droit de la nationalité française en introduisant, à Mayotte uniquement, une condition de séjour légal d’au moins un des deux parents au moment de la naissance pour l’accès futur de l’enfant à la nationalité française.

La nouvelle proposition du gouvernement entend allonger la durée minimale de ce séjour légal de trois mois à un an.

Ce projet de loi peut être lu à la lumière du progressif renforcement de la rhétorique anti-immigration à Mayotte, dont témoignent les scores du Front national aux élections présidentielles de 2017 – avec 42,89 % au second tour contre 33,9 %au niveau national – et ceux du Rassemblement national aux élections de 2022, avec 59,1 % au second tour contre 41,45 % au niveau national.

À partir d’une enquête de terrain menée en 2017 à Mayotte dans le cadre du projet européen EU Border Care, il est possible d’entrevoir les effets délétères de la rhétorique anti-immigration sur l’accès aux services de santé pour les femmes enceintes et leurs nouveau-nés.

La figure de la femme enceinte comme risque migratoire

La figure de la femme enceinte sans papiers est centrale dans les débats sur l’immigration à Mayotte. Sa construction comme « menace migratoire » sous-tend le raisonnement qui conduit à la fragmentation du droit français de la nationalité. La couverture médiatique des questions migratoires dans la région contribue depuis plusieurs années à reproduire l’idée que les femmes comoriennes viennent à Mayotte dans l’espoir que leurs enfants soient français, une lecture souvent présentée comme une évidence, sans référence à des études de terrain.

Les recherches menées à Mayotte dans le cadre du projet EU Border Care montrent pourquoi nombre de représentations stéréotypées – par exemple que les femmes sans papiers « viennent d’arriver » pour accoucher à Mayotte – reposent sur des hypothèses simplistes que des entretiens qualitatifs avec les femmes concernées ne confirment pas. L’analyse des expériences de vie de ces femmes donne à voir des parcours de vie ancrés de longue date à Mayotte et des grossesses qui s’inscrivent dans des logiques familiales et culturelles.

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Réduire les mobilités dans la région à une question de législation quant à un potentiel accès à la nationalité française des enfants à venir ne permet pas de saisir des considérations socio-économiques plus générales et surtout cela nie les liens historiques et culturels entre les îles, pourtant déterminants.

Au regard des analyses qualitatives de cette recherche, il semble peu probable qu’une réforme additionnelle du droit de la nationalité réduise significativement les mobilités entre les Comores et Mayotte. La recherche menée révèle non seulement une causalité multiple du côté des motivations individuelles mais également une production continue de l’illégalité du coté des institutions à travers de nombreuses barrières à la régularisation. Rarement mentionnées, ces politiques d’« irrégularisation » participent de l’augmentation continue du nombre de personnes sans papiers sur l’île. Ainsi, à l’inverse des effets annoncés, la réforme proposée par le gouvernement risque de compliquer l’accès aux droits des personnes nées à Mayotte et donc de maintenir une partie de ces personnes et de leurs proches dans une précarité administrative de longue durée. Or ces exclusions produisent une marginalisation socio-économique qui perpétue les conditions de vie à la source de tensions sociales.

La dégradation des conditions de soins pour les femmes souhaitant accéder aux services publics constitue une conséquence tangible de ce contexte politique hostile.

La politisation des soins de périnatalité au détriment des patientes

À Mayotte, 21 centres de protection maternelle et infantile (PMI) ainsi qu’une maternité (avec 4 annexes à travers les deux îles) assurent l’accès aux de soins de périnatalité et de maternité. Depuis la départementalisation de 2011, la gestion des PMI est du ressort du Conseil Départemental de Mayotte (et non plus de l’État). Dans ce contexte, ces services de santé sont devenus l’objet d’une politisation car ils s’adressent aux femmes enceintes et sont accessibles aux femmes sans papiers. La stigmatisation des PMI a ainsi conduit à un sous-financement récurrent.

Au moment de l’enquête de terrain, les difficultés sont particulièrement aiguës avec un blocage des recrutements malgré le fait que près de la moitié des postes sont alors vacants. Une sage-femme faisait part de son inquiétude au printemps 2017 :

« S’ils ne recrutent pas en juillet-août, on sera peut-être que 4 ou 5 sur 20 postes. Donc ça veut dire qu’on ne sera plus en mesure de consulter. La presse a été avertie, le ministère de la Santé a été averti, l’Agence régionale de santé a été avertie, il n’y a rien qui bouge, rien. Donc, c’est un blocage complet. »

Les besoins concernent également les équipements et le matériel nécessaires aux soins quotidiens. En 2017, l’hygiène était impossible à maintenir, comme le souligne une autre sage-femme :

« C’est complètement aberrant. On n’a rien pour se laver les mains. Moi j’ai acheté mon savon, j’ai gardé mon petit truc rouge là-bas, j’ai acheté mon savon liquide et voilà […] Mais au bout d’un moment, on ne peut pas non plus gérer cet effort là. Parce qu’on a beau se mettre en droit de retrait, personne ne fait rien. »

Les conditions sont telles que les professionnels de santé décident au début de l’été 2017 d’appeler à une mise sous tutelle de l’État des PMI pour assurer la continuité des soins. Depuis, la situation des PMI reste difficile et les professionnels de santé sont contraints d’exercer leur droit de retrait régulièrement, cela a été le cas par exemple à la PMI de Passamainty en mai 2022.

Grèce à la PMI de Passamainty.

Corps des femmes, nation et citoyenneté

Les recherches féministes ont mis en exergue comment les corps des femmes sont l’objet des politiques de reproduction de la Nation, comme analysé par la sociologue britannique Nira Yuval-Davis.

Au croisement de politiques migratoires restrictives et d’un gouvernement patriarcal des corps des femmes, la stigmatisation des femmes enceintes sans papiers à Mayotte, considérées comme une menace pour la Nation, engendre un sous-financement continu des services de santé périnatale, maternelle et pédiatrique.

Or la dégradation de l’accès aux soins vient à son tour alimenter, dans un cercle vicieux, l’image d’une île en proie à une immigration incontrôlée. Alors que Gérard Darmanin justifie la nouvelle proposition de réforme du droit de la nationalité à Mayotte par la nécessité d’une lutte « contre l’attractivité sociale et administrative du territoire », il est important de souligner qu’outre l’efficacité douteuse de ce type de mesure, cette lutte génère des politiques d’exclusion qui piétinent les droits des femmes à la santé sexuelle et reproductive.

Nina Sahraoui, Post-doctorante en sociologie, CRESPPA, CNRS, Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMSH)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

 

Crédit image : Shutterstock / Stefano Ember

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